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ADELINE PROTAT.

— Pourtant, si je t’en offrais un bon prix ?

— Tenez, monsieur Lazare, reprit Zéphyr en regardant fixement son compagnon, je ne suis pas si endormi que j’en ai l’air. Vous voulez me faire jaser, je sens ça. C’est pourquoi vous m’emmenez avec vous ce matin ; mais, voyez-vous bien, ajouta-t-il en se frappant le front, quand je me suis mis quelque chose là, ça y est.

— Je n’en doute pas, fit Lazare.

— Et quand ça y est, reprit Zéphyr, le diable ne me l’ôterait pas.

— Eh bien ! mon pauvre Zéphyr, une drôle de chose, je m’en vais te l’ôter, ce que tu as là ! dit l’artiste en se frappant le front par le même geste que venait de faire l’apprenti, et il ajouta : Je tâcherai même de t’ôter ce que tu as ici, — en se frappant la poitrine à l’endroit du cœur.

Zéphyr devint un peu pâle, et un demi-sourire railleur courut sur ses lèvres.

— Écoute, mon garçon, reprit le peintre, je suis plus ton ami que tu ne le crois. Ton secret, je le connais, en partie ; si je veux le savoir entièrement, ce n’est point pour te nuire. Au contraire, je t’ai proposé tout à l’heure de te l’acheter, je me suis trompé ; je ne veux pas te l’acheter, je veux seulement l’échanger avec toi, et, quand tu sauras ce que je veux t’offrir en échange, je suis sûr que tu toperas au marché.

— Et qu’est-ce que vous me donnerez donc, monsieur Lazare ? fit l’apprenti avec curiosité.

— Des conseils d’abord.

— Des conseils… dit Zéphyr avec méfiance, et puis encore ?

— Et puis encore… ce qui est renfermé dans ce petit paquet, répondit Lazare en tirant de sa poche un papier enveloppé qu’il secoua dans sa main. Quoique tu ne m’aimes pas beaucoup, puisque tu sembles te défier de moi, j’ai découvert que tu avais mon portrait ; j’ai découvert aussi que tu possédais de mon écriture, et que, pour mieux la lire sans doute et pour mieux examiner mon image, tu t’étais procuré, je ne sais comment, un petit instrument pareil à celui-ci, dit Lazare en montrant le lorgnon qui lui dansait autour du cou. Tu as donc la vue basse ? acheva l’artiste.

— Et vous me rendrez tout ça ! s’écria Zéphyr avec impétuosité.

— Tout est là-dedans, reprit Lazare en faisant passer rapidement le petit paquet qu’il tenait à la main devant les yeux de l’apprenti ; je te le rendrai… si tu me dis tout. Tu entends bien ? tout !

— Donnez ! fit Zéphyr.

— Donnant, donnant, répliqua Lazare.

— C’est bon, dit l’apprenti ; nous causerons quand nous aurons déjeuné.