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singulière qu’on voyait la toile se lever sur ce tableau nouveau de la vie humaine que M. Ponsard a essayé sous le titre de l’Honneur et l’Argent. Lorsque le bruit s’est répandu que l’auteur d’Ulysse travaillait à une comédie, il a pu, certes, très légitimement s’élever un doute assez grave, doute fondé sur la nature même du talent du poète, sur les habitudes de son esprit, sur ce qu’il a essayé, sur ce qu’il a fait jusqu’ici. Avec la meilleure volonté du monde, en effet, après Lucrèce comme après le poème d’Homère, après Charlotte Corday comme après Horace et Lydie, on ne saurait trouver dans M. Ponsard l’invention, la verve, le don de vive observation, le trait rapide et ferme, et moins encore cette libre et puissante humeur qui élève un Molière au-dessus de tous les génies, et pourtant ne faudrait-il point tout cela pour tenter la forte et saisissante comédie du XIXe siècle ? Toutes ces qualités ne seraient-elles pas nécessaires surtout là où la nouveauté est loin d’être dans le sujet ? L’honneur et l’argent ! c’est une vieille histoire, c’est le contraste éternel entre l’existence laborieuse et difficile et les honneurs facilement acquis, entre la probité indigente et le vice fastueux, entre les insolens dédains de la richesse et les pudeurs de la pauvreté, entre l’instinct qui nous dit d’aller là où le bien nous appelle, et l’instinct qui nous pousse là où sont le luxe, la fortune, l’influence, le pouvoir, et avec eux l’hommage universel. Quelque vieille que soit cette histoire, nous ne disons point qu’elle n’ait sa nouveauté et son à-propos. De tous les dieux en honneur de notre temps, l’argent est assurément celui qui a le plus de sectateurs ; mais enfin cette histoire, il faut la rajeunir, la rendre plus saisissante par la forme, par les caractères, par l’action. Or l’action est justement ce qui manque le plus à la comédie de M. Ponsard. C’est ce qui fait qu’on ne sait pas trop parfois ce que sont ces personnages qui s’agitent, d’où ils viennent et où ils vont. Les effets les plus saillans naissent moins de l’action elle-même que d’un laborieux artifice. Tenez, il y a là un homme d’état, il n’a point d’autre nom : c’est un type, sans doute ; à quel propos vient-il ? — Pour offrir au héros de la pièce, tombé dans la misère, une place d’expéditionnaire ! On ne saurait certainement employer de plus grands moyens pour amener un petit effet. En réalité, l’œuvre nouvelle de M. Ponsard est moins encore une comédie qu’une satire dialoguée, qui tombe parfois dans l’épître morale. C’est un cadre commode où l’auteur développe sous ses faces diverses l’idée de ce contraste perpétuel de l’honneur et de l’argent. Il y a sans nul doute dans les développemens de M. Ponsard des traits heureux, des accens élevés, une certaine verve d’honnêteté contre toutes les capitulations intéressées de la conscience, contre la mollesse des âmes que l’appât du bien-être corrompt ; mais en ceci même, par malheur, M. Ponsard ne s’élève point au-dessus du niveau d’une nature peu inventive par elle-même. Il va souvent droit contre recueil habituel de son talent, le lieu commun. M. Ponsard, il faut le dire d’ailleurs, porte en ce genre une certaine naïveté qui lui fait remplir ses ouvrages d’une foule de vérités qu’on est à coup sûr charmé de retrouver, mais qu’on connaissait depuis longtemps. L’Honneur et l’Argent contient une infinité de ces vérités trop vraies et auxquelles la poésie de l’auteur n’ajoute aucun attrait nouveau. Que si on compare au surplus l’Honneur et l’Argent à bien d’autres comédies contemporaines, l’œuvre de M. Ponsard est assurément supérieure,