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longue dépêche, ils annoncent à l’empereur la triste nouvelle : « Nous proposons, disent-ils (pour notre crime la mort serait un châtiment trop faible), nous proposons d’accueillir les demandes des Anglais. Nous savons bien que leurs exigences accusent une avidité insatiable; elles n’ont toutefois pour objet que l’intérêt du commerce, et elles excluent pour l’avenir toute pensée hostile. Aussi, afin de sauver la province et de mettre fin aux calamités de la guerre, nous sommes-nous déterminés à accepter ces conditions. Nous avons promis aux Anglais, sur la foi du serment, que s’ils montraient quelque repentir pour le mal qu’ils nous ont fait, et s’ils concluaient un armistice, leurs propositions seraient agréées...» Par un autre rapport, les plénipotentiaires chinois rendent compte du progrès des négociations, dont Tao-kwang avait approuvé l’ensemble, sauf quelques réserves. Il s’agit d’obtenir, pour les Européens, la faculté de résider avec leurs familles dans les ports qui doivent être ouverts au commerce. « Nous avons remarqué que les barbares subissent l’influence de leurs femmes et qu’ils obéissent à la voix de l’affection. La présence des femmes dans les ports adoucirait donc leur caractère et nous donnerait plus de sécurité. Si les barbares ont auprès d’eux tout ce qui leur est cher et s’ils voient leurs magasins abondamment garnis de marchandises, ils seront en notre pouvoir, et nous les gouvernerons plus aisément. — Tout bien considéré, disait Kying, nous avons placé notre sceau au bas du traité; au risque d’encourir le mécontentement du grand empereur et d’attirer sur nos têtes les plus sévères Châtimens, nous osons solliciter de nouveau la ratification de nos actes...» Et le traité de Nankin, signé le 26 août 1842, fut en effet ratifié par l’empereur Tao-kwang!

L’issue de la guerre de Chine ne pouvait être un instant douteuse. La civilisation européenne et la discipline devaient infailliblement triompher. Cependant l’empereur ne possédait-il pas d’immenses ressources? Maître absolu d’un vaste territoire, il disposait à son gré d’une population nombreuse et fidèle : les impôts ordinaires et extraordinaires, les ventes de titres, les dons, les exactions alimentaient son trésor, et l’on a calculé que les dépenses, durant les deux années de lutte, s’étaient élevées à 250 millions. Les approvisionnemens d’armes répondaient à tous les besoins, puisque les Anglais prirent et enclouèrent, dans les villes et sur les champs de bataille, deux mille trois cent cinquante-six pièces de canon; enfin, même dans les proclamations ridicules dont nous avons cité quelques fragmens, il y avait un vif sentiment de patriotisme, une foi profonde dans l’inviolabilité du sol, une haine ardente de l’invasion étrangère. Devant une escadre anglaise et quelques régimens bien commandés, tous ces élémens de résistance demeurèrent stériles. L’empereur, tremblant dans son palais, dut capituler. L’histoire du monde ne présente en aucun temps le spectacle d’une humiliation pareille. Jamais non plus elle n’a démontré plus éloquemment la loi providentielle qui impose à toutes les nations, à toutes les races, le devoir de se rapprocher, de s’unir, d’échanger leurs idées et leurs richesses, et d’apporter en quelque sorte à la masse commune le contingent de leur génie. Pourquoi la Chine fut-elle si honteusement battue? Suffit-il d’accuser de lâcheté une nation entière? L’explication paraît simple, mais elle serait aussi injuste qu’injurieuse pour l’honneur du Céleste Empire. Les Chinois, et surtout les Tartares, savent braver