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nous attacher à mettre en lumière les faces les moins connues de cette polémique célèbre.

Quand nous lisons aujourd’hui à distance les Mémoires contre Goëzman, nous sommes parfois choqués de ce qu’ils offrent d’excessif et d’injurieux dans l’attaque et dans la riposte. Un maître éminent, appréciateur exquis en matière de goût, M. Villemain, dans la brillante analyse qu’il a faite de cet ouvrage, ne peut s’empêcher de se récrier contre certaines parties, qui révoltent, dit-il, quelquefois en nous un sentiment de décence et de vérité. Le public contemporain de Beaumarchais était beaucoup moins frappé que nous du caractère violent de cette polémique, et cela tient à deux causes : l’une générale, l’autre particulière.

À cette époque, la publicité n’était point réglée, mais en général prohibée par les lois ; elle se produisait, malgré les lois, sous l’influence d’un besoin d’esprit plus puissant qu’elles et par conséquent avec des allures nécessairement désordonnées. Quand on parcourt la masse des ouvrages licencieux et effrénés dans tous les genres qui circulent partout aux temps dont nous parlons, on ne se douterait guère qu’on vivait alors, en fait de publicité, sous le régime légal d’une certaine ordonnance de 1769, qui ne badinait pas, puisqu’elle condamnait tout simplement à mort tout auteur d’écrits tendant à émouvoir les esprits. On en concluait que les écrivains plats et ennuyeux avaient seuls quelques chances de n’être pas pendus, et chacun écrivait sans faire plus de compte de la loi que si elle n’eût jamais existé. Les lois, on l’a dit avec raison, qui sont en contradiction flagrante avec les idées et les mœurs d’un peuple, deviennent bientôt pour lui des mots, et rien de plus.

Le même régime légal du secret vainement imposé sur les affaires publiques n’était pas moins vainement établi en principe dans les débats judiciaires. Les tribunaux prétendaient s’entourer de mystère comme le gouvernement, et à aucune époque on ne vit plus de procès scandaleux engendrer plus d’écrits injurieux et envenimés. Aujourd’hui que le régime de la publicité tend de plus en plus à prévaloir, aujourd’hui qu’il est, en général, sanctionné par une législation qui le règle sans l’étouffer, il se tempère par l’habitude, et trouve dans l’opinion un contrôle salutaire et permanent. Quand les portes des tribunaux sont ouvertes à tous, quand tout plaideur, quand tout accusé peut dire ou faire dire publiquement par son avocat tout ce qui est utile à sa cause, quand les journaux existent pour reproduire les débats, les factums judiciaires échangés entre des adversaires furieux deviennent rares, inutiles, et quand ils se produisent, ils gardent presque toujours une certaine mesure. Toute polémique imprimée au XVIIIe siècle tirait au contraire de son caractère clandestin quelque