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outrance aussitôt que les mémoires de Beaumarchais ont fait de lui une sorte de brebis galeuse.

Marin vivait d’abord en assez bons termes avec l’auteur d’Eugénie ; en apprenant le procès criminel que lui intentait le juge Goëzman, il s’était entremis sous prétexte d’arranger l’affaire ; mais, dans l’espérance sans doute de plaire au chancelier Maupeou, il ne visait à rien moins qu’à dégager Goëzman aux dépens de Beaumarchais, et voici comment. — On se souvient que toute la force de Goëzman était dans la fausse déclaration imposée par lui au libraire Lejay. Pour obliger le libraire à avouer la vérité, Beaumarchais s’appuyait sur le témoignage du banquier Bertrand, qui avait traité en son nom avec Lejay ; or Bertrand, qui avait d’abord contredit Lejay, était l’ami intime de Marin, et c’était sous son influence que, redoutant les suites d’une lutte contre un membre du parlement, il commençait à tergiverser sur la question capitale des 15 louis reçus et gardés par Mme Goëzman. En même temps que Marin poussait Bertrand à se rétracter, il disait à Beaumarchais : « Ne parlons pas de ces 15 louis, j’assoupirai l’affaire. Il n’y aura que Lejay de sacrifié. » Mais le sacrifice de Lejay et la rétractation de Bertrand laissaient Beaumarchais à la discrétion du juge, et tel était, suivant lui, le but de Marin. « Cette manœuvre, dit-il en empruntant le langage de Rabelais, était le joli petit coutelet avec lequel l’ami Marin entendait tout doucettement m’égorgiller. »

Dans son premier mémoire, Beaumarchais s’était contenté de parer le coup porté par Marin ; il ne mêlait à son exposé du fait aucune personnalité, aucune injure. Marin, persuadé comme Bertrand, comme d’Arnaud, que l’homme était perdu, et que le meilleur moyen de lui imposer silence, c’était de l’effrayer, répond par un mémoire des plus outrageans. Tandis que l’agioteur Bertrand emprunte des épigraphes aux psaumes, le gazetier Marin, qui a écrit une Histoire de Saladin et qui se pique d’être orientaliste, arbore en tête de son mémoire une maxime persane du poète Saadi : « Ne donne pas ton riz au serpent, parce que le serpent te piquera. » C’est Beaumarchais qui est le serpent ; mais Beaumarchais prouvera bientôt à sa manière que c’est Marin « qui, dit-il, au lieu de donner son riz à manger au serpent, en prend la peau, s’en enveloppe, et rampe avec autant d’aisance que s’il n’eût fait autre métier de sa vie. »

Pour signer en même temps que lui, comme le voulait la règle, son premier mémoire, Beaumarchais n’avait trouvé qu’un pauvre avocat obscur nommé Malbête. Marin, qui vise à l’esprit, profite de cette circonstance, et débute ainsi : « On a distribué à toutes les portes de Paris et l’on vend publiquement un libelle signé Beaumarchais-Malbête. » C’était assez joli, mais c’était imprudent, car le gazetier provoquait Beaumarchais à un genre de combat dans lequel tout l’a-