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concluantes. Son esprit n’était pas philosophique, à prendre ce mot dans le sens propre ; la dialectique dans l’abstraction ne lui allait pas. Il est remarquable que dans une matière qui touche par tant de points aux choses d’imagination, son style n’offre pas cette vivacité de couleur qui brille dans ses autres écrits. On dirait que, gêné par son sujet ou par son plan, mal à l’aise dans la déduction, il cherche avant tout, et cherche vainement la clarté, l’exactitude et la précision. Évidemment, en abordant les recherches spéculatives, il manquait sa vocation et forçait son talent.

Cependant son ouvrage eut un certain succès, et a conservé quelque réputation. Il dut placer l’auteur dans ce monde littéraire où il n’avait jusqu’alors aucun rang, et il lui donna crédit parmi les artistes, qui firent toujours cas de son jugement. On a conservé de ses lettres, qui sont d’intéressantes dissertations sur la peinture et la sculpture. Il jugeait beaucoup mieux l’art dans ses productions que dans ses principes. On raconte que, quelques années plus tard, le peintre irlandais Barry l’avait invité à visiter son atelier. Burke, en discutant le mérite d’un tableau, amena, sans y penser, le peintre à lui opposer quelque règle de goût empruntée à ces recherches sur le beau, dont il ne le savait pas l’auteur ; car l’ouvrage était anonyme. Burke contesta, récusa la citation comme sans autorité, et indigna tellement son contradicteur, qu’il fallut enfin pour le calmer lui révéler le nom qu’il ignorait, et l’artiste transporté lui sauta au cou. Barry devint le protégé et l’ami de Burke, qui le présenta dans le monde, le fit connaître de Reynolds, et même le décida, par ses conseils et ses secours, à faire un voyage en Italie. Les lettres qu’il lui écrivit pendant ce voyage sont remplies de bons avis pour l’homme et d’idées précieuses pour l’artiste. Pendant longtemps Barry, qui lui-même écrivait assez bien sur les arts, trouva chez Burke un utile protecteur, et s’il finit par perdre sa bienveillance, c’est que le caractère vain, inquiet, irritable du peintre lui rendait impossible une éternelle reconnaissance.

Mais avant de pouvoir patroner personne, Burke eut pendant des années besoin lui-même de protection. Ses premiers ouvrages ne l’enrichirent pas, et son père, mécontent de ne lui voir aucune profession, venait peu à son aide. En 1757, Burke rencontra à Bath la fille presbytérienne d’un docteur irlandais et catholique établi à Bristol. Il aima Jane Mary Nugent, et il l’épousa ; mais cette union, qui fit son bonheur, ne lui donna pas de fortune. Bientôt la naissance d’un fils, sur lequel il fit longtemps reposer de douces espérances, et dont la perte devait désoler les dernières années de sa vie, lui rendit encore plus nécessaire la prévoyance qui assure l’avenir. De tous temps, en Angleterre, le talent littéraire a été un moyen