Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présomptueuses espérances dépassées. « Probablement aucun homme avant lui, écrivait Johnson, ne s’était, à son premier coup d’essai, fait autant de réputation. » Il prit une part active à tous les débats. On sait que l’abolition de l’impôt du timbre aux colonies et l’interdiction de tout mandat d’arrêt conçu en termes généraux furent les deux mesures capitales qui signalèrent la session et caractérisèrent le ministère. Mais ce ministère était sans force, et presque aussitôt que les chambres furent dispersées, il disparut (huillet 1766). On doit louer en lui le désintéressement, cette honnêteté de libéralisme que les gens du monde trouvent puritaine, un des mérites assurément qu’il est le plus difficile de soutenir; car, dédaigné des prétendus habiles, il est détesté des prétendus honnêtes. La pruderie politique, comme on l’appelle, a besoin, pour se faire accepter, de se couvrir de l’éclat du talent, de s’armer de la puissance du caractère. À ces deux conditions le ministère Rockingham était loin de pleinement satisfaire. L’opinion lui tenait trop peu compte de sa probité pour lui passer la modestie et l’indécision. Il avait contre lui les hautes ambitions et les sordides intérêts, ceux qui concevaient dans le pouvoir plus de grandeur, et ceux qui ne l’appuyaient qu’à la condition de ses abus. Il tomba, et le tableau de ses principaux actes, tous marqués du sceau de l’équité et de la modération, devait, pourvu qu’on distinguât ses œuvres de sa manière, devenir sa meilleure apologie. Burke l’écrivit en deux pages, qui furent remarquées, sous ce titre : a Compte sommaire de la dernière administration. »

Pitt ou plutôt lord Chatham avait cependant formé ce cabinet incohérent, dont la politique, obscure dès sa formation, est encore un problème pour l’histoire. Burke eut à refuser plus d’un emploi; mais il jugea le ministère dès le premier jour avec une parfaite sagacité. Elle se montre dans sa correspondance avec lord Rockingham, que dans aucun cas l’honneur ni l’amitié ne lui permettaient d’abandonner. Jamais, au reste, il ne goûta la personne ni le talent de lord Chatham. L’inégalité impérieuse, la confiance hautaine, les variations que l’imagination, le tempérament et l’intérêt imprimaient à la conduite de ce singulier homme d’état, une supériorité qui se manifestait plutôt par des inspirations soudaines et des coups de génie que par des conceptions méditées avec profondeur, poursuivies avec méthode, accomplies avec persévérance, devaient effaroucher ou intimider l’esprit vif mais réfléchi, étendu mais sévère, régulier dans sa verve, opiniâtre avec enthousiasme, d’un homme de lettres scrupuleux et irritable, simple dans sa vie, consciencieux dans ses études, et qui n’agissait ni ne parlait que laborieusement préparé. Décidé à n’entrer point dans l’administration, Burke quitta même à dessein l’Angleterre. A son retour d’Irlande, il s’occupa de régler, suivant ses