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une œuvre de perfidie et se donner les émotions d’un libelliste éloquent !

Cependant il faut convenir que ce soupçon, qui nous semble injurieux, fut accrédité par l’admiration même qu’il inspirait. Il eut souvent à s’en défendre, et, chose singulière, il n’en est pas fort énergiquement défendu par M. Prior, qui est pourtant un biographe bien dévoué. M. Prior admet que si Burke n’a pas écrit les fameuses lettres, il doit en avoir assisté l’auteur. Il donne en preuves des analogies sans importance; mais il cite un fait qui en aurait davantage : c’est que Burke aurait dit à Reynolds qu’il savait le grand secret, en le priant de ne le point presser là-dessus. Il ajoute que Reynolds et Malone croyaient qu’on faisait faire un premier canevas par un certain Dyer, un ami de Chamier, mort en 1772, l’année où Junius a cessé d’écrire. Ce premier jet était soumis à Burke, qui retouchait l’œuvre et lui donnait ainsi cette forme étudiée, si différente de son style ordinaire. On prétend qu’à la mort de Dyer, William Burke, un cousin d’Edmund, entra dans sa chambre et y détruisit beaucoup de papiers. Enfin on ne manque pas de remarquer que l’éditeur des lettres de Junius reçut, par une voie secrète et avec un billet qui lui parut de sa main, quoique signé d’initiales différentes, le texte d’un discours de Burke, prononcé le 24 novembre 1767, dans un temps où la chambre des communes n’admettait pas de journalistes dans la galerie. Ce discours, d’un ton très vif, fut publié dans le Public Advertiser, et il a été placé, avec le billet d’envoi, par le fils de l’imprimeur de Junius, dans le recueil authentique de ses lettres.

Mais on ne dit pas sur quelle autorité on répète l’anecdote de Reynolds. Où est la preuve que Burke ait lui-même noté son discours, ou que, l’ayant rédigé, il l’ait transmis au journal, et non pas donné à des amis, à des écrivains de l’opposition, pour le répandre et le faire publier au besoin? Malone, que l’on cite, a écrit pour prouver que Junius était Gerrard Hamilton. Si ce Dyer dont on parle était l’ami de Chamier, il a indignement outragé son ami en se couvrant du redoutable pseudonyme. Puis, s’il est incontestable que Burke eut soupçonné dès l’origine, si, comme on le dit, c’était l’avis de lord Mansfield et de Blackstone, un des premiers adversaires de Junius, sir William Draper, qui partageait ses soupçons entre lord George Sackville et Burke, interrogea formellement ce dernier et obtint pour réponse une dénégation catégorique, dont il se déclara satisfait. Johnson a raconté que Burke non provoqué lui avait spontanément tenu le même langage. Enfin, répondant à un des Townshend, qu’on avait aussi soupçonné, Burke lui écrivait dans une lettre du 24 novembre 1771, qui a été conservée : «Je vous donne maintenant ma parole d’honneur que je ne suis pas l’auteur de Junius et que je ne