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défendre Rockingham sans rencontrer devant lui Grenville et Townshend, dont une mort récente consacrait la mémoire, lord Chatham si redouté, et enfin Conway, qui avait été le collègue de Rockingham et de Townshend. On va voir comment il se tira de cette difficulté. La citation est longue, mais c’est un fragment d’histoire.


« Personne ne peut croire qu’à cette heure je songe à charger la vénérable mémoire d’un grand homme dont nous déplorons la perte en commun. Nos petits différends de parti ont été dès longtemps apaisés, et j’ai depuis lors marché plus avec lui, et certes de meilleur cœur avec lui, que jamais je n’avais marché contre lui. Sans aucun doute, M. Grenville était un personnage de premier ordre dans ce pays. Avec un esprit mâle, un cœur ferme et résolu, il avait une application que rien ne pouvait distraire ou lasser. Il prenait les affaires publiques non comme un devoir à remplir, mais comme un plaisir à goûter; il ne semblait trouver nulles délices hors de cette chambre, si ce n’est aux choses qui se rapportaient par quelque endroit à l’affaire qui s’y devait traiter. S’il était ambitieux, je dirai ceci pour lui, son ambition était de race noble et généreuse. Il voulait s’élever, non par la politique à vil prix des cours, mais pour se frayer une voie au pouvoir par les laborieux degrés du service public, et pour s’assurer un rang loyalement gagné dans le parlement, par la connaissance approfondie de sa constitution, par la pratique parfaite de toutes ses affaires.

« Monsieur, si un tel homme a pu tomber dans quelques erreurs, ce doit être nécessairement l’effet de défauts qui n’étaient pas dans sa nature. Il faut les chercher plutôt dans les habitudes particulières de sa vie, dans ces habitudes qui, si elles n’altèrent pas le fond du caractère, le teignent cependant de leurs propres couleurs. Il avait été élevé dans une profession; il avait été élevé pour la loi, une des premières et des plus nobles sciences, à mon avis, parmi les sciences humaines, une science qui fait plus pour aiguiser et fortifier l’intelligence que toutes les autres sortes d’études mises ensemble, mais une science qui n’est pas tout à fait propre, hormis chez les hommes bien heureusement nés, à ouvrir et à libéraliser l’esprit à un égal degré. Sortant de cette étude, il ne s’était pas largement répandu dans le monde, mais il s’était plongé dans les affaires, j’entends dans les affaires de bureau, avec toutes les méthodes et toutes les formes inflexibles et limitées qui dominent là. Il y a beaucoup à apprendre, sans aucun doute, à cette école, et il n’est point de connaissances qui ne soient précieuses; mais on peut dire avec vérité que les hommes trop versés dans les matières de bureau sont rarement des esprits d’une remarquable largeur. Leurs habitudes officielles les inclinent à penser que le fond d’une affaire n’est pas beaucoup plus important que la forme dans laquelle elle est conduite. Ces formes sont adaptées aux circonstances ordinaires, et partant les personnes nourries dans l’office administratif font admirablement bien aussi longtemps que les choses vont leur train accoutumé; mais lorsque les grandes routes sont coupées et que le torrent déborde, lorsqu’une scène nouvelle et orageuse s’ouvre, lorsque la pratique ne fournit aucun précédent, c’est alors qu’il faut une plus grande connaissance de la nature humaine, une plus vaste compréhension des choses que jamais l’officiel ne l’a