Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partie de l’opposition qui suivait le drapeau de lord Rockingham forma le projet de quitter la scène et de s’abstenir de discuter plus long-temps. Cette retraite, qui ressemble à un acte de découragement quand elle n’est pas la tactique de la sédition, n’eût été justifiée ni par les principes ni par les circonstances. Deux adresses explicatives furent cependant écrites par Burke et au nom du parti, l’une au roi, l’autre aux colonies, et il envoya pour son compte, aux shériffs de Bristol, une longue apologie qui fut rendue publique. L’argument principal est celui-ci : les lois proposées contre l’Amérique sont inamendables, et, contre des mesures qui violent les principes de la constitution, l’absence est une protestation expressive et permise. Nous préférerons à ces hasardeux raisonnemens qui pourraient trop souvent autoriser soit l’inaction du représentant, soit la résistance du représenté, une nouvelle et frappante exposition de l’état de la question américaine, et surtout une réponse très élevée et très éloquente à ceux qui, ne voyant dans la politique qu’une lutte d’intérêts et d’ambitions privées, mettent sur la même ligne tous les systèmes, toutes les conditions, tous les hommes. Ce lieu commun de la sottise dénigrante ou de la perversité sceptique sert trop souvent de sagesse à une partie du public qui croit faire preuve d’esprit en ne distinguant ni le bien du mal ni le vrai du faux. Burke proteste énergiquement contre cette incrédulité politique qui ne saurait engendrer que la servitude. Que devient en effet la liberté, si la corruption est universelle? A quoi bon la résistance ou même la simple opposition? C’est pour décrier un peuple généreux luttant pour ses droits que l’on ruine ainsi les fondemens de la cause qu’il défend. On ne craint pas de mettre en poudre les principes même qui ont dans le passé sauvé et grandi l’Angleterre, depuis qu’il s’en prévaut contre elle et la menace de ses propres armes. Pour qu’elle conserve sa tyrannie sur une moitié de son empire, on est prêt à sacrifier sa liberté. L’artifice est bien digne d’une cour, diffamer une nation pour l’asservir, et remettre l’Amérique sous le joug, en rendant l’Angleterre digne de le recevoir!

Pour suivre Burke dans la pratique de ses idées, pour le voir cinq ans encore débattre tous les incidens successifs d’une guerre perpétuée par les mêmes passions et les mêmes fautes, il faudrait copier les pages quelquefois décolorées des recueils parlementaires, car tous ses discours n’ont pas été imprimés avec une égale exactitude. On ne connaît même que par un extrait de quatre pages la mémorable philippique où, pendant trois heures et demie, il dénonça au monde l’emploi des tribus sauvages comme auxiliaires dans la guerre de l’indépendance (6 février 1778). Aucun sujet ne prêtait plus à la déclamation passionnée, et l’on sait par quels mouvemens d’éloquence impétueuse Chatham émut la chambre des lords. Les