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fit demander aux secrétaires d’état leurs sceaux, et les remit à lord Temple, qui expédia aux autres ministres leurs lettres de renvoi, et résigna trois jours après, Pitt étant nommé premier lord de la trésorerie et chancelier de l’échiquier. Ce fut comme un coup d’état constitutionnel fort dans le goût de George III, qui dut enfin se croire roi, mais qui ne devait pas recommencer, car il venait de se donner un maître. Le procédé était nouveau envers la chambre des communes, qui fut vivement offensée; on lui arrachait des ministres qui possédaient sa confiance. Aussi ne crurent-ils pas d’abord que le pouvoir leur échappât pour longtemps. Les règles ainsi que les probabilités du jeu étaient en leur faveur, et cependant vingt-deux ans se passèrent avant que Fox redevînt ministre.

Les partis étaient décomposés. La diversité des calculs, la rivalité des ambitions, l’incompatibilité des caractères, ou plutôt des amours-propres, avaient amené ce résultat plus que la division sérieuse et systématique des opinions. Au contraire, on peut dire que l’absence d’une de ces questions fondamentales qui classent les hommes et les partis avait surtout contribué à éparpiller toutes les forces parlementaires. En de tels momens, l’individualité reprend le dessus. Les intérêts et les caprices personnels, l’humeur, la rancune, la vanité, décident de tout. Ce ne sont pas les beaux jours du gouvernement représentatif. Cette situation aurait dû être insupportable pour un esprit tel que celui de Burke, défenseur décidé de la consistance des opinions et des conduites, grand prôneur de la fidélité aux principes, aux antécédens et aux amitiés; mais il avait approuvé la coalition, cet acte si sévèrement reproché à Fox, et qui plus qu’aucun autre pouvait être regardé comme un signal de décomposition des partis. Toute coalition, même honorable dans son principe, a, j’en conviens, un air d’intrigue, et besoin d’apologie. Cependant, lorsque l’on considère à quels hommes ce genre d’apologie a été nécessaire, il faut ou que la tentation soit irrésistible, ou plutôt que l’action, en elle-même toujours hasardeuse, soit quelquefois imposée par une nécessité publique ou par une noble ambition. Comme tant d’autres actions, elle doit se juger par ses motifs et par ses conséquences. Si l’on n’a sacrifié aucun principe en formant l’alliance, si on l’a formée avec un grand but, si ce but on a eu le bonheur de l’atteindre, l’opinion, non contente d’absoudre l’entreprise, doit la glorifier. Aussi les coalitions sont-elles plus difficiles à ceux qui viennent du côté du pouvoir qu’à ceux qui sortent de l’opposition, car si ce n’est pour quelque réforme devenue nécessaire, pour quelque innovation amenée à maturité que les hommes du parti gouvernemental l’abandonnent, la coalition cesse d’être irréprochable. Elle peut l’être, si elle a pour but ce que M. Canning a tenté, ou ce que sir Robert Peel a fait. Dans