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l’instruction ce que font en Europe les gouvernemens. M. Lawrence, le ministre actuel des États-Unis à Londres, a créé à Cambridge un ensemble de chaires scientifiques, une sorte de faculté des sciences ; il a donné pour cela 500,000 francs. On peut citer dans les annales du collége un grand nombre d’autres dons ; mais il n’en est pas de plus touchans que les dons en nature offerts à cette institution dans ses faibles commencemens. C’était peu de temps après l’établissement de la colonie, l’argent était rare, et le zèle se produisait par des offres modestes. Un particulier donna pour le collége une pièce d’étoffe de coton de la valeur de 9 shillings ; un autre, un pot d’étain du même prix ; un troisième, un plat à fruit, une cuillère, une petite salière et une grande. Les noms de ceux qui firent à la science ces simples offrandes ont été conservés et méritaient de l’être. Cambridge compte parmi ses bienfaiteurs des noms illustres : le chronologiste Usher, le célèbre théologien Baxter, enfin le philosophe idéaliste Berkeley, qui a nié la matière comme d’autres ont nié l’esprit, et qui a vécu plusieurs années en Amérique, où il était venu dans l’intention de travailler à l’éducation des colons et à la conversion des Indiens. Walpole contraria ses généreux desseins ; quant à son système, il n’a pas laissé de trace en Amérique : la négation de la matière ne pouvait être la philosophie des États-Unis.

Cambridge a toujours été un point lumineux dans la Nouvelle-Angleterre. La première presse établie en Amérique le fut à Cambridge, en 1635, dix-sept ans après l’arrivée des pélerins. Le premier journal qui ait paru dans les colonies fut publié à Boston en 1704. Comparez à cela l’état intellectuel de la Virginie, où l’imprimerie ne se montra que quatre-vingt-dix ans après son apparition à Cambridge, et où en 1761 un gouverneur pouvait dire : « Grâce à Dieu, nous n’avons ni écoles, ni imprimerie, et j’espère que nous n’en aurons pas de cent ans, car la science a mis au monde la désobéissance, l’hérésie, les sectes et les intrigues contre le gouvernement. »

En effet, ce fut de la Nouvelle-Angleterre, affligée du double fléau des écoles et de la presse, que sortit le mouvement vers l’indépendance, suivi bientôt, du reste, par la Virginie. Les idées de liberté pénétrèrent à Cambridge bien avant l’affranchissement des colonies. Dès le milieu du XVIIIe siècle, les thèses qu’on y agitait préludaient à l’insurrection. En 1743, Samuel Adams y posait celle-ci : « S’il est légitime de résister au magistrat suprême lorsque la république ne peut pas être autrement conservée, » et il soutenait l’affirmative. En 1745, Gerry en soutenait une encore plus explicite et directement applicable aux discussions qui s’élevaient déjà entre l’Angleterre et ses colonies, savoir : « qu’à une innovation dans les lois financières qui détruit le commerce d’un peuple, les sujets peuvent légitime-