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car j’ai vu l’autre jour un magasin où l’on vendait des bijoux, des fromages et des balais. Ceci au reste n’est point propre aux Canadiens français[1] ; partout l’on commence par-là : la division du travail et du négoce est le produit du temps et du raffinement qu’il amène avec lui. Je me souviens qu’à Athènes en 1843 presque tout s’achetait dans le même magasin : un chapeau, des bottes, une selle de cheval, un matelas ; et, comme le magasin était dans l’hôtel, le voyageur n’avait qu’à demander au garçon ces divers objets, ainsi qu’il lui aurait demandé une côtelette ou une tasse de chocolat, et on les mettait sur la carte avec le prix de la chambre et du dîner.

J’ai fait une promenade avec M. Lafontaine autour de la colline qui domine Montréal, en suivant de belles allées d’arbres. On a par momens une vue admirable. Nous sommes rentrés par le quartier où se trouve le grand bassin. C’est un magnifique travail : on l’a élargi récemment, des écluses permettent d’y introduire la quantité d’eau dont on a besoin. Je trouve ici plus d’activité que je ne m’attendais à en rencontrer. Ce n’est pas Boston ou New-York, mais la disproportion ne me paraît pas si grande qu’en arrivant.

Il est étrange, quand la plupart des nations européennes ont des consuls au Canada, que la France n’en ait pas dans un pays qui lui est uni par son origine, sa langue, ses sympathies, où sa protection pourrait attirer et aider des émigrans français ; nous pourrions aussi augmenter nos rapports d’échange avec ce pays. Après l’incendie de l’arsenal de Toulon, la France a acheté des bois au Canada, et l’on s’en est bien trouvé. Pourquoi ne pas nouer des relations dont le résultat serait de maintenir et d’étendre notre influence morale sur des populations françaises par le sang, et qui défendent, avec une persévérance touchante, leur nationalité contre le double envahissement de l’Angleterre et des États-Unis ?


1er  octobre.

J’ai visité le séminaire de Montréal, lieu respectable, car de là s’est répandu sur le pays presque tout ce qu’il possède de culture intellectuelle. Aujourd’hui le séminaire a huit écoles, dont deux sont industrielles. Un ecclésiastique a bien voulu me servir de guide dans le jardin ; il m’a montré de vieux arbres fruitiers d’origine française. M. l’abbé Villeneuve a pour l’horticulture une vive passion qui me rappelait M. d’Andilly à Port-Royal ; il m’a conduit à la maison de campagne du séminaire, où l’on voit encore les ruines du petit fort dans lequel les sauvages chrétiens se réfugiaient en temps de guerre. Nous avons visité ensuite l’établissement des sœurs grises ; enfans, vieillards, malades, tout est soigné avec la plus active charité par

  1. On verra que j’ai observé les mêmes choses dans les nouvelles villes de l’Union.