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individus. Son éloignement ne l’a pas garantie, sur les points où elle est agglomérée, contre la violente secousse qui ébranla les classes ouvrières après la révolution de 1848; mais le soulèvement s’est produit chez elle sous un aspect singulier. Nulle part on ne peut mieux distinguer les deux influences auxquelles l’histoire rapportera tout le mouvement intellectuel des populations ouvrières au milieu du XIXe siècle : l’une provenant d’une source étrangère à ces populations, l’autre sortant de leur propre sein. Le flot terrible qui venait du dehors atteindre les ouvriers de la Loire sur leurs montagnes tendait à les entraîner sur une mer sans rivages; quant aux aspirations intérieures qui les agitaient, bien que souvent aveugles et souvent excessives, elles renfermaient au contraire certains germes dont il était facile de tirer parti. Avant de pouvoir apprécier la portée relative de ces deux élémens, il faut connaître aussi les deux faces distinctes sous lesquelles s’offre à nous la vie des ouvriers forésiens, observée tour à tour dans les ateliers où s’exerce leur industrie et dans les modestes habitations où se conserve depuis si longtemps l’originalité de leurs mœurs.


I. — INDUSTRIES DE LA LOIRE ET REGIME DU TRAVAIL.

La contrée qu’occupe le groupe des ouvriers de la Loire est traversée par le chemin de fer de Lyon à Saint-Etienne, qui a donné une si vive impulsion à l’industrie locale. Après avoir longé le Rhône jusqu’à Givors, on monte par une pente ininterrompue au sommet de la chaîne du Forez : sur un court espace de quatre lieues, entre Rive-de-Gier et Saint-Etienne, la différence de niveau est d’environ 1,000 pieds. On s’élève de la vallée du torrent du Gier, qui se jette dans le Rhône, à celle d’un des affluens du Gier, le Janon, et puis à la vallée de l’impétueux ruisseau le Furens, qui, après avoir traversé Saint-Etienne, où il a plus d’une fois causé de grands désastres, va se précipiter dans la Loire. Le chemin de fer se déploie au milieu d’un nuage d’épaisse fumée s’échappant sans relâche des usines dont la contrée est couverte. Tantôt les rails perchés sur la cime d’un coteau dominent des fourneaux embrasés construits dans le bas de la vallée; tantôt, s’enfonçant sous la montagne, ils atteignent aux régions que peuple la noire armée des mineurs. Sous le tunnel de Terre-Noire, on passe si près des puits de charbon, qu’il serait impossible d’élargir la voûte, reconnue pourtant beaucoup trop étroite. Etabli dans des conditions extrêmement difficiles, ce railway est ouvert au public depuis l’année 1832. Il n’existait alors en France qu’un seul tronçon de voie ferrée de 18 kilomètres de long, et appartenant à cette même région,