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réduite par l’empire des circonstances; sa préférence fût-elle d’ailleurs indépendante et éclairée, une fois dans la carrière, il n’en recevrait pas moins de son état des impressions destinées à colorer sa vie tout entière. Cette inévitable conséquence offre un large aliment à l’analyse morale dans un pays où se rencontrent côte à côte, comme dans la Loire, des groupes d’individus consacrés à des travaux d’une nature aussi diverse. Les variétés de caractères naissent alors de la différence des occupations journalières. On les voit se former auprès du métier du tisseur de rubans, de la fournaise du verrier et du forgeron, ou dans l’antre du mineur. Chaque classe d’ouvriers étale à nos yeux ses mœurs, ses goûts et son esprit.

Parmi les charbonniers, le trait de caractère le plus saillant, c’est l’insouciance, cette insouciance qui dérive d’un travail à peu près assuré et toujours semblable à lui-même. Le mineur considère son état comme un emploi qui, en lui assurant à peu près un revenu fixe, l’affranchit de toute préoccupation. On serait enclin à s’apitoyer sur sa dure existence; mais le charbonnier ne s’en plaint pas, et, pourvu que l’exploitation de la houille ne soit pas menacée d’un chômage, ou qu’une réduction n’atteigne pas le chiffre du salaire, il descend heureux dans son puits. La bonhomie forme un trait original dans la physionomie morale du mineur; n’ayant pas d’intérêts à débattre chaque jour, le charbonnier vit étranger aux ruses dont certaines transactions se compliquent trop souvent. Chez le verrier, on reconnaît l’orgueil d’un état longtemps fermé à la concurrence par un privilège de race, et, comme l’ouvrier de cette catégorie a entendu dire que la nature de son travail abrégeait sa vie, il semble se hâter de jouir avec une sensualité souvent grossière, mais toujours étudiée et systématique. L’ouvrier en fer est bruyant dans son existence extérieure, comme s’il voulait imiter le retentissement du marteau sur l’enclume, il a quelque chose de la rudesse du métal qu’il manie; mais, de même qu’on parvient à ployer le fer en le soumettant à certaines préparations, de même ces natures abruptes ont un fonds de flexibilité qui les empêche de résister quand on sait les prendre. Les rubaniers se distinguent par un goût prononcé pour tout ce qui brille, et ce goût se traduit dans la vie réelle en habitudes dispendieuses. On dirait qu’ils sont jaloux de se donner à eux-mêmes l’éclat de leurs tissus, sauf à en partager la fragilité. De cette inclination vient, dans les rapports des rubaniers entre eux, une certaine suffisance qui s’irrite de la moindre contradiction. Ont-ils une discussion même des plus frivoles, surtout en présence d’un tiers, — ils se passionnent avec une sorte de frénésie pour paraître avoir raison.

À cette première source de variétés morales qui tient à la nature des travaux quotidiens, il s’en joint une autre entre le groupe des