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travail, soit à des veuves de charbonniers. Certaines vérifications utiles obligent parfois d’entrer dans le domaine de la vie privée. Toutes ces précautions altèrent aux yeux abusés des travailleurs le caractère des services rendus. La compagnie des mines de la Loire ne s’est point laissé décourager par ces interprétations malveillantes; mais l’idéal à réaliser pour elle, c’est de joindre à la prudence nécessaire dans la répartition des secours cette générosité qui sait au besoin tempérer la rigueur des règlemens.

A côté des institutions de prévoyance aidées par le concours des chefs d’industrie, les ouvriers passementiers de Saint-Etienne avaient avec leurs seules ressources formé entre eux, en 1848, une société d’assistance mutuelle destinée à prêter secours aux sociétaires malades et à faciliter le placement des travailleurs sans ouvrage. Par malheur, l’institution était née sous de mauvaises inspirations. Après le 24 février, les rubaniers avaient d’abord voulu ressusciter à Saint-Etienne cette question du tarif si stérilement débattue à Lyon en 1831. Leurs tentatives n’ayant pu triompher d’impossibilités matérielles, un homme exalté, mais habile, qui n’appartenait point à la classe ouvrière, mais qui fut alors l’âme de ses mouvemens, conçut le plan de cette association de secours qui devait, dans sa pensée, imposer, par voie indirecte, aux manufacturiers un minimum de salaire. En permettant de faire manœuvrer les ouvriers comme un régiment, cette société, nommée Société populaire, devenait en outre un puissant engin politique. Elle était partagée en divisions et en sections. C’était dans la section, composée des hommes d’un même quartier et se réunissant une fois par semaine dans quelque café, que résidait effectivement la délibération. Quant à l’assemblée générale de la société, comme on n’avait pas trouvé de local assez vaste pour la contenir, elle se tenait en plein vent, au Champ-de-Mars, entre les pics des montagnes. Cette institution, qui obtint parmi les ouvriers un succès considérable, voulut imposer dans l’industrie rubanière une loi absolue, sans tenir aucun compte des volontés récalcitrantes. En ce qui regarde la durée du travail par exemple, des violences furent commises, sinon par la société agissant en corps, du moins par quelques-uns de ses membres animés de sa pensée, envers certains chefs d’ateliers dissidens. De plus, en intervenant sans cesse dans les rapports des ouvriers et des patrons, la société formait un germe permanent de coalition. Elle était d’ailleurs parfaitement administrée sous le rapport financier, et, quand elle a été dissoute comme dangereuse pour l’ordre par un arrêté de M. le général de Castellane le 3 janvier 1852, elle possédait en caisse 26,320 fr, qui ont dû être répartis entre tous ses membres par les soins du commissaire central de police. La Société populaire a été amèrement