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chose qui leur est le plus étrangère, et de leur esprit, comme d’une propriété qui appartient à la patrie et doit sans cesse être en action pour elle. N’emportent-ils pas ce qu’ils ont projeté, ils se croient dépouillés d’un bien à eux. Saisis de ce qu’ils poursuivent, ils en font peu de cas, par comparaison aux chances à venir. S’ils échouent au contraire dans quelque entreprise, ils ont aussitôt rempli ce vide en se faisant une espérance inverse. Seuls en effet, la chose dont ils ont l’idée, ils la possèdent, en même temps qu’ils l’espèrent, par leur promptitude de main à exécuter ce qu’ils résolvent, et tout cela, ils le font à travers des labeurs et des périls soufferts toute la vie. Ils jouissent peu des biens présens, par cela qu’ils y voient possession toujours uniforme, et que pour eux il n’y a de jour de fête que celui où ils achèvent une œuvre nouvelle, ne regardant pas la tranquillité sans trouble comme un moindre mal que l’agitation sans relâche, de sorte que, si quelqu’un, les prenant en masse, disait qu’ils sont mis au monde pour n’avoir jamais de repos, et pour n’en laisser jamais aux autres hommes, il dirait juste. »

Ces paroles, fidèlement copiées de l’original et librement redites, si près de nos grandeurs et de nos revers, dans un temps où le souffle de la France, même en paix, semblait encore agiter l’Europe et semer partout les révolutions, en Grèce, à Naples, en Espagne, en Piémont, ces paroles toutes historiques intéressaient vivement le public d’alors, et nos jeunes Athéniens de 1825 n’étaient pas fâchés de croire s’y reconnaître.

D’autres leçons, bien anciennes, mais toujours oubliées, sortaient de cette étude de l’homme dont Aristote a fait si justement le fondement de l’art de persuader, ce grand art, le premier de tous chez un peuple libre et éclairé, mais le plus inutile et par conséquent le plus abandonné sous la conquête, ou sous le pouvoir absolu, qui n’est que la conquête à l’intérieur.

On écoutait donc avec ardeur, dans cette studieuse assemblée, la reproduction exacte de quelques-unes de ces pages antiques, qui ne sont devenues des lieux communs que parce qu’elles sont des vérités profondes. Le portrait de la jeunesse surtout attacha le jeune auditoire, si souvent alors ému par les passions et les controverses du temps : «Les jeunes hommes[1] sont d’humeur changeante et promptement dégoûtés dans leurs désirs; ils souhaitent fortement et se lassent bientôt. Leurs volontés sont vives, elles ne sont pas grandes; elles passent comme les soifs et les faims des malades.

« Impétueux, ardens, emportés par leur fougue, ils ne se gouvernent point ; passionnés pour ce qui honore, ils ne supportent pas

  1. Aristot, Rhet, lib. II, c. 12.