Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jour. Par exemple, dans sa brochure de la Peine de mort en matière politique, quelle citation et quel commentaire de Tacite! et par-là comme la controverse est élevée à la hauteur du droit éternel et de la morale ! Jusque dans une simple notice, celle du colonel Edmund Ludlow, on sent sous sa plume un coloris tout empreint de cette vigueur classique des anciens. Nous l’attendons à la tribune en personne et pour son compte, et je ne doute pas qu’il n’y grandisse, trouvant là autant de matière à la passion sérieuse qu’il apportera de savoir et de talent.

« Les anciens, ajoutait-il, outre le génie, avaient l’âme libre et haute, même sous l’empire. Je suis persuadé que, malgré toutes les différences de conditions sociales et de mœurs, l’étude des anciens est encore aujourd’hui la plus excitante et la plus nourrissante pour notre tribune de France. Où voulez-vous qu’on se prépare à cette éloquence mâle et sensée que demande le bon gouvernement d’un état libre? car c’est là qu’il faut aboutir. Sera-ce dans Voltaire, qui se moque de tout, qui sape et mine, même sans vouloir abattre, et qui pensait pouvoir n’ôter du monde que la foi et le respect, le christianisme et l’honneur, sauf à garder d’ailleurs tout l’ancien régime, y compris les maîtresses de princes et les gentilshommes de la chambre? Sera-ce dans Rousseau, qui voit si souvent faux, qui déclame tant et qui confond perpétuellement le despotisme du nombre avec la souveraineté de la justice? Sera-ce même chez Montesquieu, que je relis sans cesse, que j’admire passionnément, mais qui, dans son style si fort et si brillant, ne donne guère que la raison du passé, ne célèbre que ce qui n’est plus, et nous ouvre si peu de voies nouvelles, si peu de perspectives sur l’avenir, sauf son fâcheux pronostic, que je ne veux pas admettre : L’Europe se peindra par les gens de guerre ?

« Je ne parle pas de notre XVIIe siècle, aussi grand, mais non pas plus grand dans l’éloquence et les lettres que dans la science de la guerre et dans le gouvernement : il est admirable, mais il vivait d’une autre vie que la nôtre; il met la grandeur dans le pouvoir absolu corrigé par le sentiment de la gloire. Ce n’est pas là ce qu’il nous faut, ni ce qui est possible aujourd’hui. Il fait coexister la dignité des classes, l’honneur des individus, le génie des écrivains et la toute-puissance du monarque. Aujourd’hui, sans liberté parlementaire et civile, nous n’aurions que la nullité des classes, la servitude intéressée des individus, et le despotisme onéreux au dedans et sans force à la frontière. Inspirer en France l’esprit de justice et de liberté, faire des hommes publics, créer une génération dévouée à la défense et à la science des intérêts de l’état, c’est là l’œuvre du patriotisme, et l’intérêt bien entendu de la royauté, dont je suis fort partisan, vous le savez, pourvu qu’elle soit française et libérale.