Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/373

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur leur politique, leur vie entière, leur part à chacun dans la gloire ou l’oppression d’Athènes? On aura beau me dire :

Que le début soit simple et n’ait rien d’affecté;

je cherche là Démosthènes et ne le retrouve pas, même à cet état de dignité calme et de méditation imposante qui précède l’ardeur de la parole. J’éprouve le même mécompte dans la suite du discours; je me perds dans les décrets et les dépositions de témoins cités et commentés par l’orateur; je cherche cette parole de feu qui incendiait la Grèce.

«— En vérité, général, repris-je alors, votre indignation de bon goût m’instruit plus que toutes choses et me prouve ce que je soupçonnais : que le seul art pour traduire Démosthènes serait, en le lisant beaucoup, d’arriver à le sentir, à le prendre sur le fait, comme vous le devinez, vous autres orateurs, puis de le traduire bien littéralement, avec des mots expressifs qui rendent, s’il est possible, l’ordre, le mouvement, la couleur de ses paroles et comme l’accent de sa voix. Ce mot à mot, par exemple, vous choquerait-il? ajoutai-je en prenant quelques pages retravaillées bien des fois :

« Avant tout, ô hommes athéniens! je supplie dieux et déesses ensemble que le bon vouloir dont je suis animé sans cesse pour la ville et pour vous tous, je le retrouve en vous tout entier pour moi au combat de ce jour; puis, ce qui importe souverainement à vous, à votre religion et à votre gloire, que les dieux vous inspirent de ne pas prendre mon adversaire pour conseil sur la manière dont vous devez m’entendre (ce serait une bizarre injustice), mais de consulter les lois et votre serment, où, parmi toutes les autres conditions de justice, est écrite aussi celle d’écouter semblablement les deux adversaires. Et cela ne consiste pas seulement à n’avoir rien présumé sur eux et à leur partager également votre bienveillance, mais encore à les laisser chacun disposer son ordre d’attaque et de défense, comme il l’a voulu et l’a prémédité. J’ai dans ce combat plusieurs infériorités devant Eschine, deux surtout, ô hommes athéniens! deux grands désavantages : l’un de ne pas lutter pour un prix égal; car ce n’est pas chance pareille aujourd’hui, pour moi de déchoir de votre faveur, ou pour lui de ne pas emporter son accusation. »

« — Bien, me dit le général. Mon admiration n’est plus dépaysée par quelques méchans mots. Je ne suis plus au greffe de la Tournelle; je sens l’air libre et le jour de la place publique d’Athènes. Jusqu’à cette invocation aux dieux et aux déesses ne m’étonne pas trop devant les statues sublimes du Jupiter olympien et de la Minerve éloquente et guerrière. Mais poursuivez, je vous prie.»

Je repris alors ma lecture.