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de près de soixante pieds ; il est porté sur des murs de soixante-douze pieds de long et cinquante de hauteur ; il pèse quinze mille kilogrammes et a coûté 300 000 francs à son noble constructeur. Qu’on se figure un moment l’œil d’un géant dont la prunelle aurait six pieds de diamètre ! Les observatoires de Paris, de Poulkova près Saint-Pétersbourg et de Cambridge près Boston, aux États-Unis, possèdent en outre d’immenses lunettes de quatorze pouces français de diamètre. L’année dernière, 1852, a vu établir en Angleterre, chez un modeste ecclésiastique, une lunette dont les verres sont encore plus grands, mais dont les effets comparatifs ne sont pas encore bien appréciés.

Qu’a-t-on fait de tous ces moyens d’observation dans ces dernières années, notamment en 1852 ? Commençons par les étoiles.

I.

Il n’est personne qui ne sache que notre soleil fait partie d’une vaste agglomération de soleils semblables au nôtre qui sont les étoiles innombrables dont le ciel serein nous semble parsemé ; mais ce que l’on sait beaucoup moins, c’est que cet amas prodigieux de soleils forme dans le ciel un ensemble limité, une sorte d’agglomération distincte dont l’imagination peut à peine se figurer l’étendue, quand on pense que le soleil le plus voisin du nôtre est au moins deux cent mille fois plus loin de nous que la terre ne l’est du soleil, et que cette dernière distance de la terre au soleil est au moins douze mille fois l’épaisseur de la terre. Tout cet ensemble de soleils, fondus à l’œil par la distance, forme ce que l’œil aperçoit tout autour du ciel sous la ferme d’une clarté pâle et blanchâtre et qu’on nomme la voie lactée. Il n’est point de chiffres, point de nombres qui puissent représenter la quantité de ces soleils accumulés, entassés les uns derrière les autres dans ce vaste système de soleils qui couvre pour nous une immense région du ciel. À mesure que les télescopes, en se perfectionnant, ont pénétré plus avant dans cette masse d’étoiles, on en a aperçu de nouvelles derrière celles que le télescope pouvait atteindre et distinguer. Faisons de cet ensemble, de cette voie lactée de soleils tous distincts, une île au milieu du ciel, suivant l’expression admirable de M. de Humboldt, et, malgré l’immensité des dimensions de cet amas d’étoiles, nous serons bien loin encore d’avoir peuplé, d’avoir rempli, d’avoir comblé les profondeurs de l’espace accessible à nos instrumens. En effet, l’ensemble des soleils dont le nôtre fait partie, — notre voie lactée, notre nébuleuse stellaire, — n’est pas le seul dans le monde. Avant le télescope de lord Rosse, ceux des deux Herschel, père et fils, avaient sondé à fond les espaces célestes. Mais combien de voies lactées, d’îles de soleils isolées les astronomes ont-ils trouvées avec leurs admirables instrumens et leur habileté encore plus extraordinaire ? Sont-ce deux ou trois nébuleuses, comme Huyghens en voyait vers la fin du xviie siècle, ou bien une centaine, comme Messier les cataloguait vers la fin du xviiie siècle ? Non, la dernière revue du ciel que vient de taire paraître M. John Herschel nous en enregistre plus de quatre mille ! Combien en verrait-on avec le télescope de lord Rosse ?

Ainsi nous marchons d’infini en infini. Notre terre, comparée à l’homme, semble infiniment grande ; elle n’est cependant qu’un point, comparée à notre soleil et à la distance qui sépare deux soleils voisins. De ces soleils, il y en a