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d’hui de belles occasions d’appliquer ses rares qualités aux finances de son pays, à toutes les questions qui mettent aux prises l’autorité civile et l’autorité religieuse, et sont toujours un dangereux levain. Placé dans la situation la plus éminente, à la tête des affaires, c’est à lui de diriger, de régler, de contenir, pour le rendre fécond, ce système constitutionnel implanté dans un coin de l’Italie. Quant à nous, nous ne pouvons que désirer qu’il réussisse, pour toutes sortes de raisons. La première, c’est que le Piémont est infiniment plus lié à la France, étant ce qu’il est aujourd’hui, que dans des conditions différentes de gouvernement intérieur.

Que le régime constitutionnel ait ses inconvéniens, oui, sans doute ; qu’il donne lieu à beaucoup de paroles et entrave l’action souvent, cela se peut. Il n’en faut conclure qu’une chose, c’est qu’au milieu de vicissitudes comme celles de notre siècle, il est facile de saisir successivement et à peu d’intervalle les inconvéniens de tous les régimes. Sans sortir du Piémont, pensez-vous donc que le régime absolu n’y fût occupé que de grandes choses quand il existait ? Ouvrez à ce sujet un livre récemment publié par un homme considérable qui a exercé le pouvoir comme ministre des affaires étrangères pendant quinze ans sous le roi Charles-Albert, M. le comte Solar Della Margarita : le Mémorandum historique et politique de M. Della Margarita est l’histoire intime du gouvernement absolu à Turin. Or, il en faut bien convenir, ce gouvernement avait, lui aussi, ses épisodes d’un genre particulier, ses crises qui suspendaient tout, qui arrêtaient tout. Un jour, par exemple, en 1838, éclate ce que M. le comte Solar appelle l’affaire des barbes, grande affaire s’il en fut ! La femme du ministre de Russie, Mme d’Obrescoff, paraît à la cour avec des dentelles blanches. L’étiquette cependant n’autorise que le noir, réservant la couleur blanche à la reine et aux princesses. Là dessus, grand et sérieux émoi ! On se remue, on s’agite, on s’arme en guerre contre le caprice d’une jolie femme qui aime les dentelles blanches, parce que probablement elles vont mieux à sa beauté. Le grand-maître des cérémonies et le ministre des affaires étrangères aidant, il est fait notification des lois de l’étiquette à l’agent de la Russie et aux autres ministres étrangers ; mais ici surviennent les péripéties, et on peut commencer à voir comme quoi la chose est d’importance. Le corps diplomatique résiste et se fâche ; les paroles aigres volent dans l’air, les notes se succèdent ; les courriers partent sur tous les points pour en référer aux gouvernemens. L’Europe, du coup, ne fut point en feu ; mais ce fut un rude hiver à Turin que celui de 1838, à cause de l’affaire des barbes. Circulaires, notes diplomatiques, discussion solennelle du code de l’étiquette, expédition de courriers, M. Della Margarita est-il bien sûr qu’il n’y ait point là autant de temps et d’argent perdu que dans une séance parlementaire où M. Brofferio a parlé deux heures durant ? L’ancien premier ministre de Turin affirme que dans la fureur du corps diplomatique il y avait un coup monté pour le renverser du pouvoir. Voici, ce nous semble, qui égale bien au moins les intrigues ministérielles qui s’agitent dans les parlemens ! Nous extrayons ce bizarre épisode d’un livre qui contient d’ailleurs bien d’autres chapitres instructifs et plus d’une curieuse donnée sur le gouvernement du roi Charles-Albert. Qu’en faut-il conclure ? C’est que probablement tous les régimes ont leurs petits côtés, et que là où le régime parlementaire est debout, ce n’est