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souffert, s’il nous eût fallu à pareille heure traverser à pied la ville de Macassar. Une belle allée de tamariniers nous eût conduits jusqu’à la résidence du gouverneur; mais, à deux pas de cette voie ombragée, en face de l’hôtel du gouvernement, s’étendait, sahara redoutable, une vaste place quadrangulaire destinée aux exercices de la garnison. Le fort de Rotterdam occupe un des côtés de ce champ de manœuvres, et à l’angle le plus rapproché de la route s’élève probablement aujourd’hui un temple protestant dont, au moment de notre passage, on posait la toiture.

La résidence du gouverneur de Célèbes n’est pas un palais comme le massif édifice qu’habite à Manille le capitaine-général des Philippines. Dans les moindres détails, on retrouve le contraste des deux peuples qui se sont partagé l’archipel indien. La modeste habitation dans laquelle nous fûmes introduits n’affichait nulle prétention à l’ampleur fastueuse d’une résidence; elle promettait néanmoins plus de comfort que n’en a jamais abrité le toit d’un hidalgo. Au fond d’une longue cour était assis le corps de logis principal, précédé d’un portique ouvert à toutes les brises qui pouvaient rafraîchir l’atmosphère. Deux ailes ajoutées à cet édifice renfermaient une salle de bain et trois ou quatre chambres toujours prêtes à recevoir les commandans des navires de guerre hollandais ou quelque voyageur étranger. Les capitaines de l’Amboine et du Hussard étaient en ce moment les hôtes du gouverneur. M. Bik me pressa si vivement de partager son hospitalité avec eux, que je me laissai vaincre par tant de grâce et de courtoisie. Une heure à peine après cette première visite, je revenais prendre possession de l’appartement qui m’avait été destiné.

En pénétrant pour la seconde fois dans la cour de l’hôtel du gouverneur, je crus m’être mépris; les domestiques, les gardes, tout avait disparu. Pas une âme vivante sous le péristyle, pas une voix qui vînt répondre à mon inquiet monologue. Midi avait secoué son mystique rameau sur la résidence. C’était pour quelques heures un palais enchanté. Dès le lendemain, j’avais compris les coutumes de cette vie régulière, et pendant le peu de jours que je passai à Macassar j’éprouvai un grand charme à m’y conformer. Au lever du soleil, il fallait être prêt à monter à cheval. On parcourait alors les environs de la ville ou le campong bouguis animé par les étalages des armuriers et des marchands indigènes. Vers huit heures, on battait en retraite devant les rayons du soleil. Onze heures réunissait tous les hôtes de la résidence dans la salle à manger. Midi les dispersait de nouveau. Vers trois heures et demie, le charme léthargique commençait à se dissiper. On voyait de blancs fantômes enveloppés du sarong et du cabaya des Malais se glisser vers la salle de bain pour en sortir au bout de quelques minutes. Chacun prenait à son tour le chemin