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loin de ces pensées aux déclamations contre les gardes françaises au 14 juillet.

Si ces pensées ne se fussent pas tout à coup effacées de son esprit, il aurait mieux jugé les événemens, les jugeant dans leurs causes; il aurait été plus juste pour les hommes, voyant leur conduite dans leurs motifs; il ne serait pas tombé dans cette erreur grossière de faire de la révolution le mal absolu, afin de prêter à la contre-révolution tout le bien dont il avait besoin pour qu’elle vainquît en tout la première. Il n’aurait pas, historien sans passé, général sans armée, inventé un parti pour sa cause, supposé des antécédens selon ses idées, des traditions selon ses vœux, et multiplié les conseils et les promesses mensongères au gré des illusions qu’il fallait à sa raison pour justifier sa colère. Celles des prédictions de détail que l’événement a pu confirmer sont en petit nombre dans ses écrits. Il commença presque par juger la révolution comme une folie de la faiblesse. Elle avait annulé la France, elle l’avait rayée de la carte. « Je vois, dit-il, un abîme à la place de la France. » Il comprit bientôt la réponse de Mirabeau : « Cet abîme est un volcan. » Alors il vit avec plus de grandeur les conséquences de ce qu’il aurait voulu dédaigner sans le moins haïr. Cependant il ne devina pas quelles ressources la guerre trouverait dans la France soulevée, et, bien qu’il eût raison de désapprouver les plans des alliés, il eut tort de ne pas voir qu’aucun plan militaire n’était capable de réaliser alors l’oppression de la France par les armes, et qu’il lui fallait le despotisme pour être conquise. Ses invectives contre tous les hommes à qui la révolution a fait un nom, sa haine pour toutes les opinions modérées, sa colère à la moindre apparence de transaction, quoiqu’il prétende repousser la restauration du despotisme, l’admiration et la confiance aveugle qu’il porte à tout ennemi, à toute victime des jacobins, son intolérance outrageante envers quiconque se sépare de lui, même par une nuance, tous ces travers, toutes ces violences, toutes ces faiblesses sont indignes de la grandeur de son intelligence et quelquefois de la noblesse de son cœur. Des torts de l’esprit de parti, aucun ne lui fut inconnu. Il ouvrit son âme à toutes les passions, à toutes les chimères qui ne vont qu’aux proscrits, jusque-là que, dans ces hallucinations de la haine et de la peur, il crut voir la forte et saine Angleterre dévorée par tous les poisons de la révolte et de l’impiété. Nous qui vivons dans les révolutions, redoublons de pitié pour l’esprit humain, même dans sa grandeur.


CHARLES DE REMUSAT.