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fort peu ornée : un fusil arabe, deux pistolets, un sabre de combat, rompaient seuls la monotonie de quatre murailles blanchies à la chaux; mais d’une ouverture pratiquée auprès du lit on apercevait l’admirable site que dominait le bordj, et Pontrailles avait pensé que sa cousine serait réjouie à son réveil par cette fête des yeux, comme disent les Orientaux.

Lorsqu’elle fut dans sa chambre, Anne sentit qu’elle allait avoir l’insomnie pour compagne, non point cette cruelle insomnie aux traits de fantôme qui chasse lady Macbeth de sa couche, mais cette insomnie pleine d’inquiétude et d’ivresse comme la nuit où respire Juliette. Elle ne voulut pas faire de vains efforts pour appeler un sommeil qu’elle ne désirait pas d’ailleurs, je le crois bien; car il est des pensées semblables à ces bouquets dont on ne veut point se séparer, quoiqu’ils causent une excitation douloureuse à notre cervelle. Elle voulait songer des dernières paroles de Pontrailles.

Elle se mit à examiner la chambre où elle était. Les objets qu’elle avait sous les yeux ne pouvaient que plaire à sa rêverie. Pontrailles avait laissé sur la table à laquelle il s’asseyait quelquefois les livres, en bien petit nombre, qu’il avait emportés dans sa solitude. Les livres sont les amis auxquels s’applique le mieux un des proverbes les plus connus. Ceux que Pontrailles avait choisis racontaient avec éloquence cette singulière nature. C’était cette fleur par excellence de toutes les cellules, l’Imitation, présent de Mme de Pontrailles à son fils; puis comme une rose à côté d’un lys, comme des castagnettes à côté d’un crucifix, un volume de l’Arioste côtoyant cette œuvre sacrée. C’était ensuite ce recueil populaire que vous avez rencontré peut-être dans d’humbles bibliothèques, ce volume où on a réuni René, Atala et une poétique bluette que je ne dédaigne point malgré son tour un peu prétentieux, un peu suranné, le Dernier des Abencerrages. C’était enfin un ouvrage sérieux sorti d’un esprit rompu à l’action et d’un cœur familiarisé avec la mort : l’Esprit des institutions militaires, par le maréchal Marmont.

Voilà quels étaient tous les trésors littéraires de Sidi-Pontrailles. C’en était assez pour montrer que l’esprit avait sa part dans cette vie si noblement livrée à l’action. Anne devait trouver des indices plus saisissans, plus intimes encore de la pensée qu’elle cherchait à deviner. Sur cette table où errait son regard, elle aperçut quelques papiers qui semblaient dans un assez grand désordre. Sa curiosité n’était pas de celles qui savent s’imposer des limites. Elle lut ces pages que lui offrait le hasard, et bientôt elle se sentit plongée dans un singulier attendrissement. Ce qu’elle avait sous les yeux, c’était l’âme même de Pontrailles subissant ce besoin d’épanchement dont je crois qu’aucune âme n’est affranchie. Quoique le pauvre Guillaume,