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c’est-à-dire de ces steppes immenses qui s’étendent à l’ouest jusqu’au Mississipi et par-delà : terre vierge vers laquelle se porte le flot des émigrans, et qui, entre leurs mains, se change rapidement en champs cultivés, dont les produits refluent vers l’est; grenier des États-Unis et ressource de l’Europe dans les mauvaises années. Il paraît que les Américains sont portés à s’exagérer l’étendue de leurs exportations de céréales en Europe. D’après M. Johnston, agronome anglais il est vrai, ils ne produiraient pas beaucoup plus de blé qu’il ne leur en faut pour leur consommation. Les Américains n’en sont pas moins disposés à regarder le vieux monde comme étant, sous ce rapport, à la merci du nouveau. Je me rappelle un article de journal dans lequel l’auteur, après s’être apitoyé sur ces malheureux pays de l’Europe, livrés à des révolutions perpétuelles, ne sachant pas l’art de se gouverner, ajoutait, à l’occasion des achats de blé américain faits par la France en 1847 et 1848 : « Ils ne savent pas même se nourrir et mourraient de faim, si nous n’avions pas de blé à leur envoyer.»

La prairie est pour les Américains comme un mot magique. C’est l’avenir, c’est le progrès, c’est la poésie. on ne parle guère aujourd’hui des forêts primitives; elles ont été percées à jour par les chemins de fer. Ce n’est pas à elles que s’attaque surtout maintenant l’ardeur des émigrans, plus souvent ils les laissent derrière eux pour aller exploiter la prairie, dont la culture est plus facile, plus rapide, où l’on n’a pas à défricher, à peine à labourer, où l’on sème dans une terre féconde également favorable aux moissons et aux troupeaux. L’imagination aussi est excitée par ces régions singulières, les seules où l’on trouve aujourd’hui la solitude, le charme de la vie errante, les aventures, les rencontres avec les Indiens, les troupeaux de bisons et de chevaux sauvages, la nature et la vie primitives. Le poète Bryant les a chantées, Cooper y a trouvé son trappeur Bas-de-Cuir; Washington Irving, l’écrivain élégant, les a décrites avec amour, et après eux une foule de touristes et de romanciers fatiguent chaque jour les lecteurs de récits et de peintures monotones, monotones comme ces plaines sans fin, et qui n’en ont pas la grandeur.

Chicago est aujourd’hui ce qu’était il y a trente ans Cincinnati, l’avant-garde de la civilisation de ce côté du Mississipi; car au-delà est Saint-Louis, le véritable poste avancé du mouvement vers l’ouest, l’avant-garde de cette armée de défricheurs que le grand fleuve n’arrête pas, et qui s’avancera jusqu’aux plaines de sable qui s’étendent au pied des Montagnes Rocheuses.

The star of empire westward moves.

J’aurais voulu voir Saint-Louis, celle peut-être des villes de l’Union dont le développement est le plus actif et le plus nouveau; mais, pour