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allait avoir à tenir tête. Attaqué dans Milan par l’insurrection triomphante, menacé du côté de la Suisse et du Piémont, voyant à l’intérieur du pays toutes ses communications interceptées, inquiet du sort de ses forteresses partout occupées par d’insuffisantes garnisons, Radetzky, plutôt que de sacrifier à un faux point d’honneur le salut de ses armées et de la monarchie, prit la détermination de se retirer sur Vérone, afin de s’y organiser militairement pour la campagne qui s’annonçait à lui sous les auspices les plus sévères.

Ce fut le 22 mars, au jour levant, que le maréchal, passant devant le front de son régiment de hussards, fit part à l’état-major de cette résolution. On avisa sur-le-champ aux mesures à prendre pour assurer l’exécution des ordres supérieurs. Les généraux Clam et Wohlgemuth reçurent l’injonction de nettoyer tous les édifices d’où l’insurrection pourrait inquiéter la marche des troupes. Une chose surtout préoccupait vivement Radetzky ; je veux parler du manque absolu de moyens de transport, qui le forçait à laisser aux mains de l’ennemi un grand nombre de ses blessés et de ses malades, et en même temps le privait de la faculté d’emporter quantité d’objets de la plus haute importance : la caisse centrale du gouvernement, par exemple, enfermée dans le palazzo Marini, construction massive et dont les portes, vigoureusement verrouillées, ne pouvaient s’ouvrir qu’à l’aide du canon, tous les employés étant en fuite ou cachés. Quatre ou cinq cent mille florins furent tout ce qu’il parvint à sauver de la bagarre. Le soir venu, vers dix heures, les troupes, rassemblées en cinq colonnes, se déroulèrent. À la tête de la troisième colonne s’avançait Radetzky. La nuit était froide et sombre, l’incendie des maisons, la sanglante lueur des barricades en flammes éclairaient au loin les ténèbres, du haut des tours grondait le canon, et sur le passage des soldats s’engageait à chaque instant la fusillade. Morne au dehors et le deuil dans l’âme, le maréchal assistait à cette lutte, qui ne lui semblait plus qu’une escarmouche, comparée aux meurtriers combats que depuis tantôt cinq jours ses troupes soutenaient sans désemparer. Arrivé à une certaine distance, il regarda en arrière, du côté de Milan, comme s’il eût voulu adresser un dernier adieu à la cité rebelle, et murmura entre ses dents : « Nous reviendrons bientôt. »

Après avoir campé à Melegnano, les Autrichiens s’avancèrent sur Lodi, où le maréchal passa l’Adige. Ce fut là que vint l’atteindre la nouvelle de la défection de Venise. Un pareil coup manquait à ses désastres. Que toutes les villes de terre ferme eussent obéi au mot d’ordre de la capitale, c’était un grand dommage, mais qui pouvait se réparer, tandis qu’aux yeux des moins clairvoyans, Venise perdue, c’était le coup de mort porté aux destinées de l’Autriche en Italie. Quelle force morale la révolution n’emprunterait-elle pas d’un tel