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l’Autriche. De cité en cité retentissait l’appel aux armes, de clocher en clocher gagnait l’insurrection. Partout s’allumait la guerre sainte ; partout, au cri de : Dieu le veut ! on se croisait. Temps singuliers, étranges, poétiques, et dont le romantisme rappelle certaines périodes du moyen âge ! Des universités de Pavie, de Padoue et de Pise, des murs crénelés de Mantoue, se précipitent, l’escopette au dos, le poignard à la ceinture, des légions de hardis jeunes gens, ceux-ci vêtus en bandits de théâtre, ceux-là portant la croix rouge en pleine poitrine. Un prêtre, Gavazzi, fait le coup de feu dans les rues ; un pontife, l’archevêque de Milan, bénit les barricades ; une femme, la princesse Belgiojoso, exécute dans la capitale de la Lombardie son entrée triomphale, on dirait Semiramide in Babilonia ; puis soudain, péripétie imprévue ! l’ovation change de caractère, le cri de triomphe devient huée, Sémiramis disparaît de la scène comme par une trappe, et le secret de ce coup de théâtre, c’est que la princesse est républicaine, et que l’agitation milanaise tient encore pour la monarchie du roi de Piémont[1]. On s’était trompé sur l’esprit de Milan ; mais grâce à Dieu, Rome a de l’avance, et on part pour la ville éternelle, où bientôt arrive Mazzini, car l’Italie, à cette époque, offre ce trait curieux, que sa révolution développe des variétés de toutes sortes. Allez d’une ville à l’autre, ce n’est plus le même caractère insurrectionnel : vous reculez ou vous avancez. Pour les royalistes et les partisans de la fusion, il y a la Lombardie ; pour les républicains, Bologne et Brescia ; pour les rouges, Livourne et Rome. C’est comme un immense clavier rendant à volonté toutes les notes de la gamme révolutionnaire, et dont le maestro Mazzini fait vibrer chaque touche. Néanmoins, qu’on ne s’y trompe pas, pour mettre d’accord toutes ces haines, pour réunir en un même foyer toutes ces incandescences, il suffisait de crier : Mort à l’Autrichien ! Nous parlions des universités, c’était aussi le tour aux grandes villes de déclarer la guerre aux habits blancs. Florence, Rome, Naples, obéissaient à l’impulsion commune. À Naples, la multitude furieuse arrachait de l’hôtel d’Autriche l’écusson impérial, et l’aigle à deux têtes roulait dans la fange du ruisseau, sous les yeux de Schwarzenberg frémissant. L’homme habile et résolu auquel devait échoir un jour la première place dans les conseils de son empereur sentit alors ce qu’il avait à faire. Le prince Félix de Schwarzenberg se ressouvint de son premier état, et se rendit auprès du vieux maréchal, qui lui donna un commandement. C’était le temps où les diplomates quittaient la plume pour l’épée, où les hommes de cabinet des deux partis se rencontraient volontiers sur les champs de bataille : le marquis d’Azeglio, ministre des affaires

  1. On lira aussi avec intérêt dans l’ouvrage du général Schoenhals l’anecdote originale et pittoresque de cette comtesse Pallavicini, qui menait en guerre son piano, à cette fin d’animer ses soixante chevaliers au combat en leur chantant : Sul Campo della Gloria !