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la guerre et le parlement révolutionnaire de Kremsier qui voulait la paix, tandis qu’en Piémont au contraire, pour la reprise des hostilités, la chambre était de feu et l’armée de glace. Le soldat piémontais, pas plus que l’Autrichien, n’était révolutionnaire. Entraîné à la guerre par un juste sentiment d’obéissance pour son roi, il avait bravement fait son devoir ; mais bientôt, déçu dans ses espérances de victoire, forcé par les plus douloureux revers à reconnaître l’insuffisance militaire de son auguste chef, il commençait à sentir beaucoup diminuer son zèle, lorsque les saturnales de Milan vinrent effacer en lui jusqu’à la dernière trace de sympathie pour la cause lombarde. Cette cause, son instinct lui dit dès ce moment qu’elle n’était plus la sienne, qu’elle n’était plus celle de son roi ; et quand l’armée s’aperçut du peu d’égards qu’on lui témoignait et se vit sacrifiée, — elle qui n’avait pas marchandé son sang sur les champs de bataille, — au parasitisme remuant et vain d’une garde nationale omnipotente, son découragement fut au comble. Dans les conseils de Charles-Albert, au sein des assemblées politiques, les agitateurs fomentaient la guerre ; la tribune retentissait d’un continuel appel aux armes, et les démagogues s’obstinaient à n’attribuer qu’à la trahison les désastres récemment subis, aimant mieux mettre en suspicion aux yeux de la patrie la généreuse et loyale conduite de l’armée que de reconnaître, même tacitement, la supériorité militaire du général ennemi. « Je sais ce que vous m’apportez et vous en remercie, » dit le maréchal Radetzky en allant familièrement au-devant de l’officier chargé de lui dénoncer l’armistice (16 mars 1849). Le croira-t-on ? le cabinet de Turin mit une telle hâte à ce coup de tête, que le général Chrzanowsky, — lequel, en sa qualité de commandant en chef des forces piémontaises, méritait assez cependant qu’on le tînt au courant des choses, — ne fut qu’au retour du courrier informé de ce qui se passait. Il faut dire aussi quel acte singulier, quelle pièce inouïe c’était que cette déclaration d’armistice signée non par le roi, non par le commandant en chef de l’armée, mais tout simplement parle conseil des ministres. « Depuis quand, remarquait plus tard le maréchal Radetzky, des ministres constitutionnels s’arrogent-ils le droit de faire la paix ou la guerre ? Ce document, il n’eût tenu qu’à moi de le refuser comme nul, car j’avais conclu l’armistice avec le roi en personne, avec le roi général en chef et représentant de l’armée piémontaise ; mais le dirai-je ? ce malencontreux document, tout absurde qu’il fût, nous remplissait le cœur d’une joie trop vive pour que l’idée me vînt d’ergoter sur les termes. »

Dans l’attente des événemens qui se préparaient, le maréchal avait d’avance démembré son armée, de telle sorte qu’en huit jours elle pouvait se trouver concentrée sur le point d’opération le plus éloigné.