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cependant une nouvelle expédition pour briser la résistance des états de Karang-Assam et de Klong-Kong, dans lesquels Djilantik ne cessait d’attiser l’incendie. Le 8 mai, vingt-deux jours après la prise de Djaga-Raga, le général Michiels fit rembarquer ses troupes, et vint attaquer la partie orientale de l’île. Affaibli par les pertes qu’il avait essuyées en secourant le rajah de Bleling, le roi de Karang-Assam n’était plus en état d’arrêter la marche de cette armée victorieuse. Il se vit bientôt abandonné par ses troupes et fut massacré par ses propres sujets. Poursuivi dans les montagnes où il s’était hâté de chercher un refuge, le gousti Djilantik tomba également victime de la fureur populaire. En lui périssait le plus implacable ennemi que, depuis Dipo-Negoro, eût rencontré la domination hollandaise.

Gouverné par le chef spirituel de l’île, le dewa-agoung, l’état de Klong-Kong avait pris une part moins active à la défense de Djaga-Raga; ses forces étaient presque intactes, et son territoire avait, aux yeux de la population, un caractère sacré qui devait en rendre la défense plus opiniâtre. Le général Michiels savait que la soumission complète de Bali ne pouvait s’obtenir que sous les murs de Klong-Kong. Aussi transporta-t-il, sans perdre un instant, son armée, épuisée par deux mois de marches et de combats, sur ce nouveau théâtre d’opérations. Il fallut une lutte acharnée de trois heures pour s’emparer d’une hauteur qui dominait la baie, sur le bord de laquelle avaient campé les troupes. Les Balinais défendirent pied à pied cette position consacrée par la superstition publique ; ils opérèrent leur retraite en bon ordre, et l’armée hollandaise, accablée de fatigue, ne put songer à les poursuivre. Le général Michiels fit bivouaquer ses troupes sur le champ de bataille ; chaque soldat se coucha tout habillé, et se tint prêt à saisir ses armes au premier signal : cette précaution sauva l’armée. Vers trois heures du matin, — au milieu d’une obscurité profonde, — des coups de feu et d’horribles hurlemens se font entendre aux avant-postes. Les Hollandais forment leurs rangs en silence. Une troupe de furieux enivrés d’opium se ruent sur eux la lance en arrêt. Victimes volontaires, ces premiers combattans sont destinés à mourir ; ils ne cherchent ni n’espèrent la victoire, ils crient amok (tue! tue!) et n’ont d’autre but que d’ouvrir un passage aux masses compactes qui les suivent. Leur frénésie vient se briser contre les baïonnettes hollandaises ; ils tourbillonnent le long de ce mur d’airain, sans pouvoir en ébranler les assises. Ces fanatiques luttent en désespérés, l’écume à la bouche, jusqu’à ce qu’ils tombent sous les coups qu’on leur porte, ou qu’ils s’affaissent épuisés. Cependant le nombre des combattans grossit sans cesse; l’artillerie européenne fait en vain de larges trouées dans cette cohue que les lueurs de l’incendie ont rendue visible. Au centre de la position occupée par l’armée