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ADELINE PROTAT.

sentaient les armes. Ramené en France et rentré dans la vie civile, Caporal était devenu chien de berger, et faisait à la satisfaction commune la police du troupeau confié à sa garde.

L’industrie exercée dans les Longs-Rochers par sa nouvelle maîtresse devait initier Caporal à un métier nouveau pour lui, qui en avait déjà tant pratiqué. Les artistes disséminés dans la forêt, trouvant quelquefois incommode de se déranger quand ils avaient besoin de quelque chose à la cantine, avaient coutume d’appeler de loin la cantinière pour lui demander ce qu’ils souhaitaient. Cela était d’autant plus facile, que les Longs-Rochers possèdent un écho d’une telle fidélité de répercussion, que le son y est distinctement reproduit à la distance d’un kilomètre. La mère Madelon, qui trouvait pénible de courir à travers les escarpemens des gorges, dressa Caporal à la remplacer. Cette invention devint pour elle une nouvelle source de profits. Les peintres, qui trouvaient originale la métamorphose de Caporal en garçon d’estaminet, renouvelaient plus fréquemment leurs consommations pour se procurer le plaisir de voir l’intelligent animal bondir à travers les roches, chargé d’un petit panier qu’il portait suspendu au cou, et dans lequel sa maîtresse déposait les choses que lui demandait sa clientèle nomade. À sa double fonction de garçon de café et de chien de berger, Caporal en ajouta une troisième, qui augmenta encore de temps en temps le gain modique de sa vieille maîtresse.

Il y a dans les Longs-Rochers des espèces de grottes qui ont conservé le nom de chambres du Croque-Marin, en souvenir d’une tradition dont nous avons en vain cherché l’origine. Ces grottes, qui n’ont autrement rien de bien curieux, sont situées dans la partie la plus solitaire des gorges, et il est assez difficile de les trouver quand on ne connaît pas le terrain. Les gens qui désiraient visiter les grottes s’adressaient à la mère Madelon, qui se faisait volontiers leur guide et recevait d’eux quelque menu salaire. De même qu’elle s’était fait remplacer par son chien pour le service de la cantine, la vachère de Montigny utilisa son instinct en lui confiant le soin de conduire au Croque-Marin les étrangers. Caporal connaissait d’ailleurs tous les coins de la forêt aussi bien que s’il eût fait partie de la meute princière ; il suffisait de prononcer devant lui le nom d’une vente, d’une croix, d’un carrefour ou d’un site quelconque, pour qu’il en prît sur-le-champ la direction. Cette connaissance des lieux lui permettait donc d’étendre ses fonctions de guide au-delà du rayon dans lequel étaient situés les Longs-Rochers, et si quelque visiteur s’informait du chemin qu’il fallait suivre pour aller à la Mare aux Fées ou à la Gorge au Loup, la vachère proposait aussitôt Caporal, qui conduisait son monde par les sentiers les plus pittoresques. Caporal avait, sur les ciceroni que l’on prend en location à Fontaine-