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dix-sept quatuors pour instrumens à cordes, dont les cinq derniers renferment de telles difficultés et de telles hardiesses d’harmonie, qu’ils sont restés à peu près incompris jusqu’à nos jours ? A Vienne et presque sous les yeux de Beethoven, on essaya vainement de les déchiffrer d’une manière suffisamment intelligible, en sorte que les uns considéraient ces terribles quatuors comme le dernier effort d’un génie grandiose, mais affaibli par l’âge et les infirmités, tandis que les autres y voyaient la révélation d’une phase nouvelle de la musique instrumentale. La vérité, comme on le pense bien, n’était dans aucune de ces opinions extrêmes, et, grâce à l’exécution tout à fait remarquable de MM. Maurin, Chevillard, Mas et Sabattier, nous pouvons apprécier maintenant avec plus de confiance quelle est la valeur des dernières compositions du sublime symphoniste. Comme tous les hommes supérieurs qui ont beaucoup écrit et que la Muse a visités de bonne heure, Beethoven a modifié son style et ses idées en suivant l’impulsion irrésistible du temps. Après avoir procédé d’Haydn et de Mozart, il s’est brusquement dégagé de la tradition de ses maîtres en donnant l’essor à son propre génie et en produisant les grandes conceptions de sa maturité, qui se prolonge jusqu’en 1820. À partir de cette époque, Beethoven entre dans une nouvelle voie ; il conçoit des combinaisons plus hardies, entrevoit des horizons inexplorés, il veut enfin produire des œuvres qui ne ressemblent en rien à celles déjà connues. La neuvième symphonie avec chœurs dont nous avons parlé plus haut, les cinq derniers grands quatuors et quelques sonates pour piano sont le résultat de cette détermination un peu systématique. Sans entrer dans les détails techniques dont nous pourrions appuyer notre jugement, on peut affirmer que le caractère général des dernières compositions de Beethoven, c’est la hardiesse parfois excessive des combinaisons harmoniques et le dédain des formes consacrées non-seulement par la théorie, mais aussi par les œuvres des maîtres. Pour résumer notre opinion sur les cinq derniers quatuors de Beethoven, nous dirons franchement qu’à côté de pages incomparablement belles, on y remarque des étrangetés, des bizarreries qui semblent plutôt le résultat d’un système arrêté que le libre épanchement d’une inspiration nouvelle. Il y a des parties merveilleuses qui ne ressemblent à rien de ce qu’on connaît et où chaque instrument s’agite dans un espace immense, et comme s’il était chargé de la partie dominante ; mais le tout manque de proportions et de cette coordination des idées secondaires qui est le signe indélébile des conceptions vraiment belles. Quoi qu’il en soit de l’opinion qu’on peut avoir de ces quatuors, ce qu’il y a de mieux à faire, c’est d’aller les entendre exécuter par les quatre artistes courageux et habiles qui attirent à leurs séances tout ce qu’il y a à Paris d’amateurs distingués.

Depuis que la symphonie a été créée par Haydn, admirablement traitée par Mozart et agrandie par le génie prodigieux de Beethoven, une foule de compositeurs s’est éprise d’un attrait bien dangereux pour cette forme suprême de la musique instrumentale. Sans parler de l’Allemagne, où s’est produit un grand nombre d’imitateurs, parmi lesquels Mendelssohn est incontestablement le plus distingué de tous, la France a vu naître aussi quelques compositeurs de mérite qui se sont essayés avec plus ou moins de succès