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(qu’entendait-il par-là ? je ne le sais trop), il décide, ce qui à cette époque n’embarrassait personne, que depuis trois mille ans on n’y a rien compris, et que l’Europe attend encore une philosophie. On disait cela couramment dans l’école opposée. Bacon, Descartes en avaient touché quelque chose ; Voltaire, Condillac, Tracy ne se faisaient pas scrupule de le redire ; pourquoi M. de Bonald ne le répéterait-il pas ? Mais quoique la philosophie qu’il promettait n’ait rien de commun avec la leur, quoique ses principes aient une grande analogie avec ceux que le père Ventura recommande, elle est nouvelle : il suffit ; elle suppose que l’église catholique, qui philosophe depuis dix-huit cents ans, a philosophé en vain ; c’en est assez pour que le nouvel apologiste de l’église relève avec sévérité, quoique sans amertume, toutes ces témérités d’un écrivain catholique. Après les Grecs du bas-empire, après les protestans, après les cartésiens, M. de Bonald arrive à son rang dans le dénombrement des adversaires de la scolastique et du père Ventura. Un petit-fils de M. de Bonald, qui lui-même cultive les lettres, a relevé le gant ; il a répondu à l’agresseur, qui a répliqué. Dans cette controverse où, comme il arrive souvent, personne n’a tout à fait tort, l’ancien général des théatins a porté beaucoup d’insistance et quelque vivacité ; il a publié une brochure, écrite un peu lourdement, pas très obligeamment, où il établit et motive son dire et sa pensée avec une parfaite clarté ; mais encore une fois, pour décider qui a raison dans cette controverse, il faudrait traiter du fond des choses, dire où est la vraie philosophie, et quant à ce procès-là, nous demandons l’ajournement.

Donc le père Ventura a entrepris la réhabilitation de saint Thomas. Nous n’avons rien contre. Saint Thomas est un grand esprit. Si quelques-uns lui refusent toute l’originalité permise au philosophe, cette sagacité profonde qui fait pénétrer la science d’un pas de plus dans la vérité, il n’a pas du moins de supérieur pour l’étendue et la capacité de l’intelligence, pour la subtilité raisonnable, pour la facilité dialectique, pour la bonne foi dans la recherche et l’exposition, pour la droiture de sens au milieu même des systèmes singuliers que lui imposent son temps et son école. Il n’est point de scolastique dont la lecture soit plus instructive, et nous aimons à voir l’église s’inspirer de son génie. Il était un grand partisan de la raison, ce dont nous le louons fort ; un zélé disciple d’Aristote, ce qui ne nous offense point ; un sectateur assez vif de la philosophie des sensations, ce que nous ne lui reprocherons pas trop sévèrement ; mais il mérite la grandeur de sa renommée. Au reste, elle n’est pas demeurée à l’abandon. Il n’y a pas longtemps que le père Lacordaire, qui avait commencé à le rappeler à la mémoire des hommes, en écrivant pour le rétablissement des frères prêcheurs, est venu prononcer son panégyrique