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est plutôt platonicienne, car elle se rapproche fort de celle de Bossuet, qui dit, d’après Platon : « L’homme est une âme se servant du corps. » Descartes parle autrement. Il définit l’âme une chose qui pense, c’est vrai ; mais je doute que nulle part il définisse l’homme. Il a donné maintes fois de la nature humaine une théorie développée, et il dit positivement, dans une réponse à Arnauld, qu’il a bien pris garde que personne ne pût penser que l’homme n’est rien qu’un esprit usant et se servant du corps. Il combat, comme le père Ventura, la doctrine qui assimile l’âme dans le corps à un pilote en son navire, et tous deux se gardent bien de nous dire qu’en cela ils ne font que répéter Aristote. Enfin il convient, avec le père Ventura, qu’il y a union réelle entre l’âme et le corps ; que l’un et l’autre sont substantiellement unis ; mais j’avoue qu’il entend par là qu’il y a union de substance à substance et non unité de substance. Il sait trop bien que ce sont deux choses distinctes, deux natures séparables, et qu’il importe à l’homme, avant toute chose, que l’âme soit en elle-même une substance.

Il est vrai que Descartes professe peu de respect pour les formes substantielles. Il déclare qu’il s’en passe ; il les appelle une fois de misérables êtres, une autre fois de pauvres innocens. C’est avouer qu’il n’admet pas la définition de l’âme d’après saint Thomas, devenue un article de foi de par le concile de Vienne, et que le pape Jean XXII estimait à ce point qu’il fit exhumer et brûler les os d’un théologien qui l’avait niée. Mais ne semblerait-il pas, à entendre le père Ventura, qu’il s’agisse d’un dogme révélé, quand il exalte cette définition, ce principe profond et important, base de toute philosophie, ce principe inconnu des philosophes anciens à qui il faut pardonner, puisqu’ils ignoraient le christianisme ? Or ce principe est tout simplement, qui donc l’ignore ? la définition d’Aristote. Il faut qu’il y ait longtemps que le père Ventura ait lu, je ne dis pas Aristote, Dieu l’en préserve ! mais saint Thomas, car dans les dix-sept questions de la première partie de la Somme théologique, qui forment un véritable traité de l’âme, il aurait vu, à chaque page, le philosophe de Stagire plus souvent cité que l’Écriture et les pères, et notamment question 76, article I, il aurait lu, à la suite des éclaircissemens sur la définition classique de l’âme, ces propres mots : Hœc est demonstratio Aristotelis in II de Anima, text. 24. Et si le père Ventura veut s’édifier complètement sur un point aussi connu de l’histoire de la philosophie, nous le prierons de passer de la Somme théologique à la Somme contre les Gentils ; il y verra, livre II, chapitre 70, saint Thomas soutenir contre Averroès sa définition comme étant le vrai sens d’Aristote. Enfin, si ces deux autorités ne suffisent pas, nous l’engagerons à consulter le commentaire même de saint Thomas sur Aristote,