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pourrait dire, ou peu s’en faut, non que l’église est fondée sur la vérité, mais la vérité sur l’église. Disons bien que cette méthode n’est pas absolument condamnable ; nous savons dans quelle mesure elle est admissible, et surtout combien elle peut être utile ; nous remarquons seulement qu’elle est dominante, presque exclusive, et nous craignons que, ainsi employée, elle ne soit plus propre à produire des réactions religieuses que des conversions religieuses.

Apercevoir et dénoncer l’erreur est facile. Plus facile encore est de convaincre la science humaine d’inconstance, et l’histoire de l’esprit humain est celle de ses contradictions. La satire de l’esprit humain est si aisée et si tentante, qu’elle est la philosophie de ceux qui n’en ont pas. Non-seulement les esprits profondément moqueurs, Montaigne, Rabelais, Voltaire, s’y plaisent, mais les hommes frivoles qui ne pensent à rien, les heureux du monde, les gens blasés, ceux qui livrent toute leur âme aux plaisirs et aux intérêts de cette vie, sont prêts à dire et aiment qu’on leur répète que la science est vanité. On se trouve d’intelligence avec tous ceux qui envient ou imitent les voluptés de Salomon, quand on leur redit ses railleuses conclusions. La polémique amuse la malignité de notre esprit. Il faudrait bien de la maladresse pour qu’elle ne rencontrât pas souvent juste ; il y a des objections à tout ; point de doctrine qui n’ait son faible ; la vérité est parfaite, mais elle n’est qu’imparfaitement connue, et rien n’est facile comme d’appuyer sur les obscurités et les lacunes de la connaissance pour ébranler et décrier la connaissance même. Cette entreprise a quelque chose qui divertit et qui passionne. Voilà bien des motifs pour exciter beaucoup d’esprits à préférer la négation à l’affirmation, l’attaque à la défense, l’invective à l’enseignement ; mais de telles raisons ne peuvent déterminer des écrivains et des prédicateurs habiles et convaincus à suivre la voie où nous les voyons marcher.

La critique dirigée avec talent et avec énergie contre des systèmes dépourvus de l’appui d’une autorité extérieure, livrés à l’inquisition de l’esprit, aux hasards et aux caprices du talent, modifiés ou altérés suivant les époques, toujours incomplets ou obscurs par quelque côté, toujours discutables en un point, puisqu’il y a de l’insoluble dans les choses, cette critique conduit à peu près sûrement le commun des intelligences à l’incertitude, au doute, parfois à une incrédulité dédaigneuse. Puis, comme le scepticisme n’est pas une situation tenable pour des esprits sérieux, ni même pour tous les esprits frivoles, il se change en une disposition favorable à une doctrine qui parle avec autorité, se proclame hautement immutable, et ajoute à la grandeur des dogmes la beauté des préceptes, l’éclat et la multitude des exemples, les promesses et les consolations. Peu importe que, pour se recommander à des esprits désolés, cette doctrine, telle qu’on