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ADELINE PROTAT.

de misérables calomnies avaient fait naître dans l’esprit de ses hôtes. La vieille dame, qui ne pouvait pas souffrir les paysans et qui parlait par proverbes, avait beau insinuer qu’il n’y avait pas de fumée sans feu ; le marquis et sa femme avaient reconnu que le cœur d’un bon père pouvait seul trouver les élans de tendresse et d’indignation dont le sabotier avait fait preuve en leur parlant de sa fille et des bruits répandus contre lui par la méchanceté publique.

Lorsque le marquis et sa femme songèrent à se retirer, ils eurent toutes les peines du monde à emmener la petite Cécile, qui s’était déjà fait une amie d’Adeline et ne voulait pas la quitter. De son côté, la fille du sabotier avait trouvé dans cette communauté de jeux un plaisir tout nouveau pour elle, et semblait voir avec peine les préparatifs de départ qui allaient l’éloigner de sa petite camarade. En montant dans leur voiture, qui était venue les attendre à la porte de Protat, les parens de Cécile exprimèrent une dernière fois au sabotier leur reconnaissance, et la jeune marquise, ayant pris Adeline dans ses bras, l’embrassa avec une tendresse toute maternelle, à laquelle l’enfant répondit par des caresses qui parurent causer un mouvement de jalousie à son père.

Trois ou quatre jours après ces événemens, comme on en causait encore dans tout Montigny, Protat, en revenant des champs, fut tout étonné de trouver chez lui Mme de Bellerie, qui attendait son retour en causant avec un homme déjà âgé qui l’accompagnait. Après quelques mots d’amicale politesse, la marquise indiqua l’étranger à Protat.

— Monsieur, lui dit-elle, est le docteur C…, un des grands médecins de Paris et l’ami de notre famille. Il est venu passer quelques jours au château, et j’ai eu l’idée de vous l’amener pour qu’il examine votre petite fille. Je lui avais expliqué tout ce que vous m’aviez fait connaître de sa maladie. Tout à l’heure il a vu l’enfant, et il se trouve maintenant assez renseigné pour vous dire ce qu’il en pense.

Une grande inquiétude se peignit sur le visage du sabotier, qui regarda tour à tour le docteur et la marquise.

— Est-ce que monsieur aurait de mauvaises choses à me dire sur ma pauvre petiote ? demanda-t-il en s’inclinant devant le célèbre médecin, dont l’air froid n’avait, en effet, rien de bien rassurant. Avant de répondre, celui-ci indiqua du doigt la petite Adeline, qui jouait dans la chambre avec la fille de la marquise. Devinant que l’on s’occupait d’elle et intriguée par les questions que le médecin lui avait adressées avant l’arrivée de son père, l’enfant semblait, tout en jouant, tenir une oreille à l’affût des paroles. Mme de Bellerie, ayant deviné la pensée du docteur, prit les deux enfans par la main, et les emmena dans le petit jardin qui était derrière la maison. Quand ils furent seuls :