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n’existait pas dans la mission précédente. Travailler pour Louis XV et Mme  Du Barry avait été une affaire de nécessité ; servir les intérêts d’un roi jeune, loyal, honnête, empêcher la calomnie de ternir de son souffle impur le respect dû à une jeune, belle et vertueuse reine, pouvait certainement inspirer à Beaumarchais un zèle louable et sincère. Aussi, dans cette circonstance, il n’attend pas qu’on le recherche ; c’est lui qui se met en avant. « Tout ce que le roi voudra savoir seul et promptement, écrit-il à M. de Sartines, tout ce qu’il voudra faire faire vite et secrètement, — me voilà : j’ai à son service une tête, un cœur, des bras et point de langue. — Avant ceci, je n’avais jamais voulu de patron ; celui-là me plaît : il est jeune, il veut le bien, l’Europe l’honore, et les Français l’adorent. Que chacun dans sa sphère aide ce jeune prince à mériter l’admiration du monde entier, dont il a déjà l’estime. »

Le zèle de Beaumarchais ne pouvant point, à cause de son blâme, être utilisé officiellement, c’est toujours en qualité d’agent secret que le gouvernement de Louis XVI l’envoie de nouveau à Londres en juin 1774. Il s’agissait encore d’arrêter la publication d’un libelle qu’on jugeait dangereux. Celui-ci était intitulé : Avis à la branche espagnole sur ses droits à la couronne de France, à défaut d’héritiers. Sous cette apparence de dissertation politique, le pamphlet en question était spécialement dirigé contre la reine Marie-Antoinette ; on n’en connaissait pas l’auteur ; on savait seulement que la publication en était confiée à un Juif italien nommé Guillaume Angelucci, qui portait en Angleterre le nom de William Hatkinson, qui usait d’une foule de précautions pour garantir son incognito, et qui avait à sa disposition assez d’argent pour faire imprimer en même temps deux éditions considérables de son libelle, l’une à Londres, l’autre à Amsterdam.

En acceptant cette seconde mission, qui devait être pour lui féconde en aventures, Beaumarchais, soit qu’il éprouvât le besoin de rehausser un peu son rôle, soit qu’il jugeât que ce témoignage de confiance était nécessaire à son succès, avait demandé un ordre écrit de la main du roi. Le roi de son côté, craignant sans doute que le négociateur n’abusât de son nom, s’y était refusé. Beaumarchais était parti néanmoins ; mais il était habile, tenace, peu accoutumé à renoncer à ce qu’il voulait, et c’est un spectacle assez curieux que de l’observer, dans une série de lettres à M. de Sartines, revenant sans cesse à la charge et sous mille formes différentes, jusqu’à ce qu’il ait enfin obtenu ce qu’on lui a d’abord refusé. « Il ne peut rien faire sans cet ordre écrit de la main du roi. Lord Rochford, l’ancien ambassadeur d’Angleterre à Madrid, avec lequel il est lié, et qui pourrait le servir utilement comme ministre à Londres, ne se mettra point en avant, s’il n’est pas certain qu’il s’agit de rendre au roi un service personnel ;