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cochenille à Java. Il a fallu cependant, pour acclimater cette industrie dans l’île, un luxe de précautions inconnu au Mexique et aux Canaries. Nous avions vu à Ténériffe des cactus jetés sans ordre et sans symétrie au milieu des rochers : chaque feuille portait, exposés à toutes les intempéries de l’air, une foule d’insectes au corps brun, de la grosseur à peu près d’une lentille, et recouverts d’une poussière blanchâtre. À Pondok-Guédé, on nous montra de véritables jardins de nopals. Le giroflier et le muscadier ne sont pas entourés de plus de sollicitude et de plus de tendresse. Au-dessus de sillons réguliers et uniformes s’étend un toit de palmiers porté sur des roulettes, qui protège à la fois contre les grandes pluies d’orage et l’insecte et la plante. Grâce aux sucs nourriciers qu’il aspire incessamment de la terre, grâce surtout au soin minutieux que l’on prend d’éloigner de lui toute végétation parasite, le cactus peut résister longtemps à la succion des milliers de trompes qui le dévorent. Lorsque la cochenille a, au bout de soixante-cinq ou soixante-dix jours, atteint tout son développement, on l’enlève avec précaution de la feuille à laquelle elle adhère, et elle meurt presque aussitôt. On la fait alors sécher au four pendant cinq ou six fois vingt-quatre heures et on l’expédie en Europe, où, réduite en poussière, elle livre au commerce cette couleur éclatante, rivale de la pourpre antique. On recueille à Java 30,000 kilogrammes environ de cochenille, représentant sur le marché européen 7 ou 800,000 francs. La récolte de Pondok-Guédé était, en 1849, de plus de 5,000 kilogrammes.

Le domaine privé occupe à Java la douzième partie des terrains mis en culture, et certaines propriétés rurales ont dans cette île une valeur de plusieurs millions de francs. Le bénéfice qu’en retire le trésor public est de peu d’importance : calculé au tiers pour cent de la valeur approximative des biens-fonds, l’impôt des terres européennes ou chinoises ne figure dans le budget colonial que pour une somme de 800,000 francs. Ce sont les produits de ces propriétés particulières qui alimentent à Java la navigation de concurrence, car le domaine public ne livre les siens qu’aux navires de la Maatschappy. Le pavillon étranger exporte cependant chaque année de Java, outre diverses denrées d’un intérêt secondaire, 9 ou 10 millions de kilogrammes de café et 14 millions de kilogrammes de sucre. De pareils chiffres ont leur éloquence ; ils prouvent que le monopole créé en faveur de l’industrie et de la navigation nationales n’est point tellement exclusif, qu’il doive rendre les puissances européennes indifférentes à la prospérité de Java. La France, entre autres, n’a point dans les mers de Chine de marché plus important que celui