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demi-nu s’assied sur leur large dos, comme sur une plate-forme, et les ramène, en les flattant de la main, à l’étable.

Nous étions arrivés à la limite des régences de Tjanjor et de Bandong. Des montagnes calcaires, soulevées du fond des eaux par l’éruption volcanique, bordent les deux côtés de la route. On dirait les ruines de murs cyclopéens bâtis avec de larges blocs de marbre jaune. Au-delà de cette gorge s’étend le plus vaste plateau de l’île à plus de deux mille pieds au-dessus du niveau de l’océan. Cet immense plateau est entouré de montagnes dont le sommet disparaît dans les nuages. D’innombrables ruisseaux le sillonnent et vont grossir le cours impétueux du Tji-Taroum. Voici les rizières, les villages et les hauts palmiers qui reparaissent ; voici les haies de bambou et d’hibiscus : nous entrons dans Bandong.

L’assistant résident, M. de Sérière, était l’ami particulier du docteur Burger. Il se chargea de nous faire les honneurs de la régence, et nous lui dûmes les plus curieux épisodes de notre voyage. La régence de Bandong produit à elle seule plus de quatre millions de kilogrammes de café. Des parcs d’une immense étendue couvrent de tous côtés les pentes de la montagne. Ici le cafier naissant croît sous l’ombre légère du dadap, dont le tronc fragile grandit en quelques mois et fait trembler au bout de longs rameaux des grappes de fruits écarlates. Plus loin, le cafier se déploie dans tout l’orgueil de sa sève. Le dadap a été coupé au pied ; il n’y a plus de feuillage importun entre l’arbrisseau déjà fort et le soleil ; les branches du cafier commencent à s’étendre, et portent avec les baies qui rougissent des milliers de fleurs aussi blanches que des flocons de neige ; d’autres allées nous montrent l’arbre devenu vieux ; vingt années de fécondité l’ont épuisé ; quelques fruits apparaissent encore çà et là au milieu de la majesté stérile de son noir feuillage, mais il faut une échelle de bambou pour les atteindre. De nouveaux plants fourniront une récolte à la fois plus abondante et plus facile. Aussi chaque saison voit-elle disparaître quelques-uns des vieux massifs qui faisaient jadis l’ornement de la colline.

On ne saurait se figurer le charme que nous éprouvions à parcourir ces beaux parcs si coquettement alignés et entretenus. Le régent avait mis ses écuries à notre disposition, et, dès que la route cessait d’être praticable pour les voitures, nous enfourchions bravement les poneys de Célèbes ou de Sandalwood. On n’eût pu trouver de montures plus dociles, plus souples et plus infatigables. Il fallait voir ces gracieux coursiers à la robe luisante gravir d’un seul temps de galop les escaliers qui unissent le fond des ravins au sommet des collines, véritables échelles de Jacob que les Javanais ont taillées dans l’humus séculaire de leur île. C’est ainsi que nous atteignîmes les hauteurs