Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/1014

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fondamentale ne saurait être entre le passé et l’avenir, car la tradition y est mère de la liberté, et l’esprit d’innovation ne lui est point contraire. Tout au plus quelques habitudes, provenant de ce que l’Angleterre avait communiqué à ses colonies de son génie hiérarchique, rattachent aux whigs ceux auxquels ces habitudes se sont quelque peu transmises, et les mœurs de l’égalité poussent vers les rangs des démocrates ceux chez lesquels ces mœurs ont plus d’empire ; mais, selon moi, ce n’est là que l’accessoire. La principale ligne de démarcation entre les whigs et les démocrates des États-Unis, c’est celle qui sépare deux tendances inhérentes à toute société : la tendance à faire prévaloir l’autorité du gouvernement sur les diverses fractions du corps social ou sur les individus, et la tendance contraire.

Ces deux directions de la politique américaine étaient très nettement tranchées dans les deux partis qui la divisaient durant les années qui ont suivi l’établissement de l’indépendance : les fédéralisles[1] et les républicains. Ces deux partis ont été remplacés par deux autres qui, au fond, ont hérité, l’un, les whigs, de l’esprit des fédéralistes, l’autre, les démocrates, de l’esprit des républicains, les premiers inclinant en général à donner plus d’empire au gouvernement de l’Union sur les citoyens des différens états, et les autres à restreindre cet empire. Même au sein des états particuliers, tout ce qui tend à fortifier l’autorité et la loi est appuyé par les whigs, tout ce qui rend l’autorité plus mobile et la loi moins pesante peut compter sur la faveur des démocrates.

La politique des deux partis découle de ces deux principes. Ainsi les démocrates sont en général plus ardens que les whigs à défendre le droit que réclament les états à esclaves de ne pas permettre qu’on s’immisce dans une organisation intérieure, parce qu’il y a là pour ces états une question d’indépendance individuelle. Les démocrates sont opposés à la protection, dont les whigs sont partisans, parce qu’il répugne aux premiers de reconnaître au congrès le droit, en légiférant sur les matières commerciales, de favoriser ou de contrarier les intérêts particuliers des états. Par la même raison, les démocrates se sont constamment efforcés de restreindre le pouvoir du congrès en ce qui touche aux voies de communication à établir dans les différentes parties de l’Union. C’est toujours le principe opposé à celui de centralisation, poussé souvent jusqu’à l’excès dans un pays aussi

  1. il ne faut pas être trompé par les mots. Les fédéralistes américains étaient ceux qui tendaient à faire prévaloir dans une certaine mesure l’unité gouvernementale, et les Fédéraliste fut écrit pour combattre l’excès de ce que nous sommes accoutumés en France à appeler le fédéralisme. Les fédéralistes d’Amérique furent ainsi nommés parce que leurs adversaires étaient pour une fédération encore moins fortement liée et gouvernée.