Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/1020

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaque état se régissant lui-même, et par-là l’agglomération d’un grand nombre de populations dans les cadres de l’Union étant moins difficile à maintenir que si ces populations étaient administrées par le pouvoir central. On dit aussi avec raison que la rapidité des communications abrège les distances, rapproche et confond pour ainsi dire les points les plus éloignés, et qu’il importe peu que des pays soient géographiquement séparés quand leurs habitans peuvent se visiter en quelques jours et s’écrire en quelques minutes. Enfin on ajoute que les populations les plus diverses sont absorbées rapidement par cette incroyable puissance de fusion et d’assimilation que possèdent les institutions américaines, et qu’elles doivent au principe de liberté. Toutefois ces garanties ne suffisent pas pour rassurer beaucoup d’esprits éclairés contre les périls que peut susciter un accroissement rapide et disproportionné. Le gouvernement central, quelles que soient ses limites, doit exercer une autorité assez grande dans certaines circonstances : pourra-t-il la faire sentir au-delà des Montagnes-Rocheuses et à travers le golfe du Mexique ? Malgré les chemins de fer, les bateaux à vapeur, le télégraphe électrique, il y aura toujours un peu loin de Washington à Tehuantepec. Les races européennes, qui fournissent le plus à l’émigration, se fondent, il est vrai, dans la nationalité des États-Unis ; mais en sera-t-il de même de ces populations du sud au sang mêlé, aux habitudes indolentes, populations engourdies ou dépravées par de détestables gouvernemens ? Les difficultés que les Mormons donnent à cette heure au congrès peuvent en faire prévoir d’autres, et leur répulsion haineuse de tout ce qui n’est pas eux montre que la puissance d’absorption a ses bornes. Quand certains hommes entrevoient dans l’avenir une division possible des États-Unis en trois confédérations, l’une au nord, l’autre au sud, l’autre dans l’ouest, n’est-ce pas augmenter beaucoup les chances de dissolution que d’étendre démesurément le territoire de l’Union ? Enfin, ce qui est encore plus grave, cette politique envahissante ne favorise-t-elle pas des instincts funestes à la conservation de la liberté ? Ne tend-elle pas à transporter l’amour insatiable du gain - des mœurs privées, où il n’a déjà que trop d’empire, dans les mœurs publiques, dans la vie générale du pays ? Les États-Unis se sont formés sous la discipline devenus sévères : qu’ils craignent de périr par le relâchement des principes qui ont préparé leur existence indépendante, fait leur force dans la lutte, fondé leur constitution après la victoire ! Leur puissance a été dans le sentiment du droit : ils seront perdus le jour où ils auront achevé d’oublier leur origine.

Ces avertissemens d’une voix amie auront plus d’autorité dans une bouche plus célèbre, et je vais laisser parler un homme apostolique, dont le nom vénéré est béni de tous, — l’éloquent écrivain