Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/1032

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laquelle on voudrait que le succès de son époux en Amérique durât plus longtemps. Elle a adressé une réponse charmante à une dame qui fait en ce moment un cours à New-York sur l’émancipation de la femme, et qui voulait l’engager dans cette cause : « Ma vie a été si agitée, a dit Mme Kossuth, que je n’ai pas eu le temps d’étudier la question dont vous me parlez ; mais ayant le bonheur d’être la femme d’un homme qui inspire à tant d’autres l’admiration que je ressens pour lui, vous trouverez naturel que je n’aie jamais songé à lui disputer l’empire. » Du reste, le dîner a été fort agréable. Les prétendans whigs et démocrates à la présidence, parmi lesquels il faut compter M. Fillmore lui-même, puis M. Webster, le général Cass, le général Scott, vivaient fort bien ensemble. L’abolitioniste Siward causait gaiement avec les partisans du compromis. Le dîner ne valait pas tout à fait ceux de M. de Sartiges, mais il n’était pas non plus trop républicain, et tout dans les manières de M. Fillmore avait un cachet de simplicité digne et bienveillante qui me semble faire de lui le type de ce que doit être un président américain.

Maintenant que j’ai vu le Canada, le nord et l’ouest des États-Unis, Boston, New-York, Philadelphie, Washington, des écoles, des prisons, des hôpitaux, des élections, des fêtes populaires, le congrès et le président, je commence à avoir envie de voir autre chose. Le froid qui m’a surpris, et qu’il n’était nullement dans mes intentions de rencontrer, me presse d’aller chercher un climat plus doux d’abord dans la partie méridionale de l’Union, à Charleston et à la Nouvelle-Orléans, puis à la Havane, puis peut-être au Mexique. C’est un pays où il n’est pas aussi facile d’arriver et de voyager qu’aux États-Unis ; mais on le dit curieux par ses antiquités, admirable par les beautés naturelles qu’il présente, unique par la diversité des climats qu’il réunit et rapproche. Je trouve une tentation de plus dans la rencontre que j’ai faite ici de M. Calderon, qui fut ministre d’Espagne à Mexico avant de l’être à Washington, et de la femme spirituelle qui porte son nom et qui a écrit un très intéressant ouvrage intitulé la Vie à Mexico. L’obligeance de M. Calderon et les honorables souvenirs qu’il a laissés au Mexique m’y assureraient de précieuses recommandations ; mais Mexico est un peu loin de Paris, où il faut être dans quatre mois pour rouvrir mon cours. Tout cela est bien tentant et bien difficile ; nous verrons. En attendant, je pars demain pour le sud. Le sud, c’est un but de voyage qui me séduit et m’entraîne toujours.


J.-J. AMPERE.