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Chatam ou Rockingham remplace lord North. Les opposans, pour augmenter le trouble, intriguent en Portugal pour empêcher l’accommodement avec l’Espagne.

« Notre ministère, mal instruit, a l’air stagnant et passif sur tous ces évenemens qui nous touchent la peau.

« Un homme supérieur et vigilant serait indispensable à Londres aujourd’hui.

« La première chose que l’on ne peut s’empêcher de faire est d’engager le ministère d’Espagne à se rendre moins difficile sur les répétitions contre le Portugal. Pendant que le ministère anglais travaille à rapprocher le Portugal de la conciliation, et fait observer aux Portugais que les embarras intérieurs de l’Angleterre l’empêcheraient absolument aujourd’hui de les secourir, aux termes de leur dernier traité, notre démarche auprès du ministère d’Espagne est indispensable pour détruire autant qu’il est possible l’effet de l’intrigue et de l’argent de l’opposition anglaise, qui emploie les derniers efforts en Portugal pour y engager sérieusement la querelle entre les deux puissances du sud…

« … Voilà, sire, quels sont les motifs de ma course secrète en France. Quelque usage que votre majesté fasse de ce travail, je compte assez sur la vertu, sur la bonté de mon maître, pour espérer qu’il ne fera pas tourner contre moi ces preuves de mon zèle, en les confiant à personne, en augmentant le nombre de mes ennemis, qui ne m’arrêteront jamais tant que je serai certain du secret et de la protection de votre majesté.

« Caron de Beaumarchais. »


On voit que dans ce mémoire Beaumarchais affirme avec une rare perspicacité le triomphe prochain des colonies d’Amérique, mais on voit aussi qu’il insiste pour qu’on éloigne tout ce qui pourrait entraîner la France dans un conflit dont le moment n’est pas arrivé. Si Beaumarchais s’exagère les conséquences de la lutte des partis en Angleterre, c’est qu’ici tout le monde se trompait comme lui. On supposait naturellement que des échecs éprouvés en Amérique rendraient l’Angleterre furieuse contre ses ministres ; mais le peuple anglais, avec ce sentiment national et ce bon sens qui le caractérisent souvent dans les grandes crises, déjoua ces prévisions. La défaite des troupes anglaises affaiblit l’opposition plus encore que le ministère : tout fut subordonné à la nécessité de combattre et de vaincre, et l’irritation des esprits, au lieu de s’enflammer, s’amortit considérablement.

On doit noter aussi que le mémoire de Beaumarchais au roi est indiqué comme remis d’abord à M. de Sartines, ce qui nous autorise à supposer que Beaumarchais a fait un secret de cette démarche à M. de Vergennes, ou n’a pas trouvé chez ce ministre le degré de confiance qu’il désirait ; c’est peut-être ce qui explique la lettre suivante à M. de Vergennes, écrite un jour après le mémoire :