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LA PAIX OU LA GUERRE.
AU ROI SEUL[1].
« Sire,

« La fameuse querelle entre l’Amérique et l’Angleterre qui va bientôt diviser le monde et changer le système de l’Europe, impose à chaque puissance la nécessité de bien examiner par où l’événement de cette séparation peut influer sur elle et la servir ou lui nuire.

« Mais la plus intéressée de toutes est certainement la France, dont les îles à sucre sont, depuis la dernière paix, l’objet constant des regrets et de l’espoir des Anglais, désirs et regrets qui doivent infailliblement nous donner la guerre, à moins que, par une faiblesse impossible à supposer, nous ne consentions à sacrifier nos riches possessions du golfe à la chimère d’une paix honteuse et plus destructive que cette guerre que nous redoutons.

« Dans un premier mémoire, remis il y a trois mois à votre majesté par M. de Vergennes, j’ai tâché d’établir solidement que la justice de votre majesté ne pouvait être blessée de prendre de sages précautions contre des ennemis qui ne sont jamais délicats sur celles qu’ils prennent contre nous.

« Aujourd’hui que l’instant d’une crise violente avance à grands pas, je suis obligé de prévenir votre majesté que la conservation de nos possessions d’Amérique et la paix qu’elle paraît tant désirer dépendent uniquement de cette seule proposition : il faut secourir les Américains. C’est ce que je vais démontrer.

« Le roi d’Angleterre, les ministres, le parlement, l’opposition, la nation, le peuple anglais, enfin les partis qui déchirent cet état, conviennent qu’on ne doit plus se flatter de ramener les Américains, ni même que les grands efforts qu’on fait aujourd’hui pour les soumettre aient le succès de les réduire. De là, sire, ces débats violens entre le ministère et l’opposition, ce flux et reflux d’opinions admises ou rejetées qui, n’avançant pas les affaires, ne servent qu’à mettre la question dans un plus grand jour.

« Le lord North, effrayé de piloter seul au fort d’un tel orage, vient de profiter de l’ambition du lord Germaine pour verser tout le poids des affaires sur sa tête ambitieuse.

« Le lord Germaine, étourdi des cris et frappé des argumens terribles de l’opposition, dit aujourd’hui aux lords Shelburne et Rockingham, chefs de parti : « Dans l’état où sont les choses, messieurs, osez-vous répondre à la nation que les Américains se soumettront à l’acte de navigation et rentreront sous le joug, à la seule condition, renfermée dans le plan de lord Shelburne, d’être remis en l’état où ils étaient avant les troubles de 1763 ? Si vous l’osez, messieurs, investissez-vous du ministère, et chargez-vous du salut de l’état à vos risques, périls et fortunes. »

« L’opposition, disposée à prendre le ministre au mot et toute prête à dire oui, n’est arrêtée que par l’inquiétude que les Américains, encouragés par leurs succès et peut-être enhardis par quelques traités secrets avec l’Espagne et la France, ne refusent aujourd’hui ces mêmes conditions de paix qu’ils demandaient à mains jointes il y a deux ans.

  1. Remis à M. le comte de Vergennes, cachet volant, le 29 février 1776.