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demanderai jamais rien. Faites seulement, ô mon maître, qu’on ne puisse m’empêcher de travailler pour votre service, et toute mon existence vous est consacrée.

« Caron de Beaumarchais. »


On reconnaît ici que Beaumarchais juge le moment venu d’appuyer avec énergie le système des secours secrets, et qu’il présente ce système avec une habileté qui ferait honneur à un diplomate de profession ; on voit aussi qu’il se propose pour la première fois comme prêt à le mettre lui-même à exécution ! La prudence de M. de Vergennes s’y refuse encore. Beaumarchais écrit une douzaine de lettres de plus en plus vives, et il semble qu’on le voit peu à peu gagner du terrain sur l’esprit du ministre. M. de Vergennes ne croit plus autant à la possibilité de conserver la paix. « Quoique la tendance de la France et de l’Espagne, écrit-il à notre chargé d’affaires à Londres le 20 avril 1776, soit pour assurer la durée de la paix, je vous avoue que je ne suis pas tranquille quand je considère la foule des accidens indépendans de la volonté des souverains qui peuvent confondre leur prévoyance. » Les inquiétudes du ministre français sont bientôt fortifiées par l’attitude défiante et tracassière du gouvernement anglais ; quoique la France garde encore en ce moment la plus absolue neutralité, cela ne suffit pas au cabinet de Londres : il prétend visiter nos navires, poursuivre les bâtimens américains jusque sous le canon de nos forts ; il gêne notre commerce ; il soutient que nous devons punir ceux de nos négocians qui trafiquent avec les rebelles. Beaumarchais exploite avec soin ces circonstances au profit de son idée. Il raconte à M. de Vergennes, avec une grande vivacité, une scène qu’il a eue avec lord Rochford au sujet de cette prétention du gouvernement anglais, d’obtenir la punition de nos négocians, et M. de Vergennes lui répond par la lettre suivante, où le calme habituel du ministre semble s’altérer un peu au contact de la vivacité fiévreuse de Beaumarchais :


« À Versailles, le 26 avril 1776.

« J’ai mis sous les yeux du roi, monsieur, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le mardi 16 et non le 12 de ce mois. J’ai la satisfaction de vous annoncer que sa majesté a fort approuvé la manière noble et franche dont vous avez repoussé l’attaque que le lord Rochford vous a faite à l’occasion de ce bâtiment américain destiné, dit-on, pour Nantes et conduit à Bristol. Vous n’avez rien dit que sa majesté ne vous eût prescrit de dire, si elle avait pu prévoir que vous seriez dans le cas de vous expliquer sur un objet aussi étranger aux soins dont vous êtes chargé[1]. Au ton de lord Rochford, il semblerait argumenter d’un pacte qui nous assujettirait à faire de

  1. La mission ostensible de Beaumarchais était à ce moment-là de réunir à Londres des piastres espagnoles pour le service de nos colonies.