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l’état ? Et ainsi l’individu disparaîtrait insensiblement en quelque sorte ; le sentiment de la responsabilité risquerait de s’émousser encore plus, l’instinct da la prévoyance personnelle diminuerait infailliblement, car chacun sentirait que l’état agit pour lui, épargne pour lui, et qu’il trouvera au bout de sa carrière des ressources, modestes sans doute, mais suffisantes pour le dispenser des préoccupations viriles de l’avenir.

S’il est juste et utile d’observer particulièrement ces tendances, c’est qu’elles existent au cœur même de la société, nous le répétons. Elles peuvent revêtir plus d’une forme, s’étendre à plus d’un ordre d’intérêts et s’offrir au gouvernement comme une séduction pour sa sollicitude. Récemment encore, le gouvernement publiait une note où il rappelait, comme c’était son droit, tout ce qu’il avait fait pour les classes laborieuses : l’institution des commissions d’hygiène, la loi relative à l’assainissement des logemens insalubres, votée par l’assemblée législative le 15 avril 1850, la loi du 22 janvier 1851 sur l’assistance judiciaire, les bains et les lavoirs publics, le décret qui accorde les honneurs religieux au convoi funèbre du pauvre, et il ajoutait que, pour remédier à la hausse des loyers dans Paris, il allait provoquer la création de maisons nouvelles où les ouvriers trouveraient des logemens d’un prix modéré fixé par l’état lui-même, lequel entrerait dans la dépense de ces maisons au moyen d’une allocation. L’intérêt du gouvernement en faveur des classes pauvres n’a pas besoin de justification à coup sûr. D’un autre côté, l’état ne logerait point lui-même les ouvriers sans doute, mais il subventionne qui les loge. Or ne s’élève-t-il pas à ce sujet un certain nombre de questions assez graves ? Est-il dans la mission de l’état d’intervenir dans cet ordre de transactions privées où bien des intérêts divers sont en jeu ? Est-il dans la nature de ses fonctions de consacrer une part des deniers publics à élever des maisons et des logemens ? Qu’on réfléchisse où l’état pourrait être entraîné, s’il assumait la charge de chasser la misère et même l’insalubrité de toutes les pauvres maisons de France, de supprimer, partout où elles existent, ces chambrées qui sont bien en effet, sinon toujours la honte, du moins la douleur de la civilisation ! Des entreprises semblables ont eu lieu en Angleterre ; l’état, que nous sachions, n’y a point concouru sous cette forme, il n’est intervenu que pour assujettir ces maisons nouvelles à des règles de police. Il y a, nous ne l’ignorons pas, bien des esprits qui, toutes les fois que des scrupules s’éveillent sur des questions de ce genre, raillent ces scrupules, les taxent de préjugés routiniers, les accusent d’être un obstacle aux véritables améliorations, aux véritables progrès, qui conjurent les révolutions, d’être systématiquement rebelles à toute nouveauté, En vérité ce n’est point parce que cela est nouveau que nous y trouvons quelque danger, c’est plutôt le contraire qui pourrait être vrai. Ce que nous voudrions voir dans une société qui travaille à se reconstituer, c’est l’homme recherché, estimé pour sa valeur propre, retrouvant le sentiment de son individualité, de sa responsabilité, mis au-dessus de tous les mécanismes et de tous les nivellemens démocratiques ; c’est l’instinct de la prévoyance personnelle agissant par lui-même, sans s’abriter sous la tutelle absorbante de l’état ; c’est l’élévation de la condition morale et matérielle des classes se produisant naturellement, sans autre secours que cette protection générale qui garantit le travail, l’industrie de chacun, en assurant la liberté de tous.

Plus d’une de ces considérations a pu se faire jour dans les discussions