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place parmi ces livres qu’un temps de luttes et de polémiques produit, et qui gardent leur intérêt encore dans une situation si complètement transformée. Les productions ne sont point rares à coup sûr en ce moment dans la littérature : ce qui est plus rare, c’est l’originalité, c’est la puissance d’une inspiration réelle et vivace. On pouvait voir l’autre jour comment la nouvelle se multiplie dans le domaine littéraire. La poésie n’est pas moins abondante ; elle a, elle aussi, cette fécondité vulgaire qui se traduit en une multitude de vers de tout genre : sonnets, idylles, poèmes, fantaisies humoristiques, chants élégiaques. Malheureusement, dans tout cela, c’est la vie même, c’est la sève intérieure qui est absente. Il y aurait bien cependant aujourd’hui, à ce moment de l’année, comme un doux et merveilleux accord entre la saison nouvelle et linéique inspiration vive et franche ; mais qu’irez-vous chercher dans les Poésies diverses de M. Vincent de Bréau ? Que trouvez-vous encore dans la Barbarie vaincue, préludes poétiques de M. Brun-Nougaréde, ou dans les Poésies de M. Jules Guillemin ? chansons, sonnets, élégies, même avec accompagnement de lettres de Béranger, dans le volume de M. Guillemin, ne composent pas un rameau bien opulent. Ce sont, comme bien d’autres, de ces fleurs sans parfum et sans prix dont il ne reste rien. Allez un peu plus loin, vous trouverez un petit volume réunissant quelques poèmes, quelques fragmens, et qui semble aller se placer sous les auspices de M. de Lamartine : ce sont les Chants d’une étrangère, œuvre d’une femme, où il y a des épigraphes en arabe et en grec. La nouveauté n’est point le plus saisissant caractère des principaux morceaux des Chants d’une étrangère. Il y a cependant une certaine habileté à manier la langue poétique. Au milieu de tous ces vers enfin, moisson périodique bicolore et inféconde, vient s’offrir un recueil où se fait sentir du moins une veine marquée d’inspiration heureuse, c’est celui des Epîtres, Contes et Pastorales de M. Charles Reynaud. On connaît le talent facile et élégant de M. Reynaud. Nous ne dirons point que c’est une poésie d’une puissance souveraine. L’auteur lui-même ne prétend point à cela sans doute. Il se borne à un ordre d’inspirations plus familières et plus simples. Ce qu’on peut saisir surtout dans les vers de M. Charles Reynaud, c’est ce reflet du printemps que nous demandions justement. Il se dégage de sa poésie comme un doux murmure des campagnes. L’auteur a le goût de la nature, et la peint d’un trait pittoresque parfois. Les soleils de mai, les coteaux verdoyons, les aubes fraîches et pures, l’enchantement d’un beau jour, les moissons dorées, les rudes travaux du laboureur, ce sont là des sources toujours nouvelles et toujours inépuisables d’inspiration. Et tandis que nous notons ces derniers accens poétiques, un autre art, la peinture, tient aujourd’hui ses assises, si l’on nous passe cette expression. Le Salon vient de s’ouvrir récemment ; on sait ce qu’est une ouverture du Salon : au milieu de cette profusion de tableaux, de peintures, de sculptures, on se retrouve un peu comme en face d’un spectacle compliqué ; les objets se confondent, les perspectives se brouillent, il y a une sorte d’éblouissement. Il faut un peu de temps pour que chaque chose prenne sa place et son vrai caractère, et alors de cet ensemble de près de deux mille œuvres, très inégalement remarquables, se détachent des tableaux comme le Marché aux Chevaux de Mlle Rosa Bonheur, comme la Florinde de M. Winterhalter, édition nouvelle du Décaméron, comme la Mort de Michel Montaigne de M. Robert Fleury, puis enfin comme les inévitables peintures