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étant philosophe aussi, de s’expliquer cette faiblesse ; elle interroge son cœur pour se rassurer, et son cœur, qui sait, comme un ami complaisant, quel est le conseil qu’on lui demande, son cœur lui fait la réponse qu’elle espérait : « Plus je veux sonder, dit-elle, l’état présent de mon âme, plus j’y trouve de quoi me rassurer. Mon cœur est pur, ma conscience est tranquille ; je ne sens ni trouble ni crainte… Ce n’est pas que certains souvenirs involontaires ne me donnent quelquefois un attendrissement dont il vaudrait mieux être exempte ; mais, bien loin que ces souvenirs soient causés par la vue de celui qui les a causés, ils me semblent plus rares depuis son retour, et quelque doux qu’il me soit de le voir, je ne sais par quelle bizarrerie il m’est plus doux de penser à lui. En un mot, je trouve que je n’ai pas encore besoin du secours de la vertu pour être paisible en sa présence… Mais, mon ange, est-ce assez que mon cœur me rassure, quand la raison doit m’alarmer ? J’ai perdu le droit de compter sur moi. Qui me répondra que ma confiance n’est pas encore une illusion du vice ? Comment me lier à des sentimens qui m’ont tant de fois abusée ? Le crime ne commence-t-il pas toujours par l’orgueil qui fait mépriser la tentation ? Et braver des périls où l’on a succombé, n’est-ce pas vouloir succomber encore ? » J’aime ces dernières phrases ; j’aime que Julie sente le trouble de son cœur, et qu’au moment même où elle se dit paisible, elle s’effraie de sa faiblesse ; voilà enfin les véritables mouvemens du cœur humain, voilà les véritables sentimens d’une honnête femme, c’est-à-dire d’une femme sincère avec elle-même. Julie ressemble en ce moment à la Pauline de Corneille, qui, quoiqu’elle soit sûre de sa vertu, ne veut pas s’exposer à revoir dans Sévère l’amant qu’elle a aimé. Elle ne craint pas d’être vaincue ; mais elle craint le combat


…Et ces troubles puissans

dit-elle,

Que fait déjà chez moi la révolte des sens.


Ces attendrissemens qu’éprouve Julie et qui l’alarment, voilà ce que le langage scrupuleux et austère du XVIIIe siècle appelait la révolte des sens. Loin de s’assurer en sa propre vertu, loin de braver le péril, Pauline a toutes les délicatesses d’une âme inquiète et défiante d’elle-même. En vain son père, qui ne songe qu’à obtenir la faveur de Sévère, qui est le favori de l’empereur, presse Pauline de voir Sévère ; Pauline s’y refuse. — Mon père, dit-elle avec une humilité de conscience qui me répond de sa vertu bien mieux que ne ferait l’orgueil,

Mon père, je suis femme et connais ma faiblesse ;
Je sens déjà mon cœur qui pour lui s’intéresse ;