Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/1155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couleurs introduit une sorte de turbulence dans un effet qu’il fallait surtout laisser calme. Ces imperfections et quelques autres prouvent que l’artiste ne sait pas encore se modérer et se contenir parfaitement, elles compromettent une fois de plus le succès qu’il allait peut-être définitivement conquérir ; mais les qualités qui les rachètent doivent rallier dès à présent au talent de M. Chassériau des partisans nombreux. Le Tepidarium n’est pas un des tableaux les plus complets du salon : ne peut-on dire, toutefois qu’il mérite d’être remarqué l’un des premiers, parce qu’il en est peu qui dénotent autant de sève, de vraie force et de franchise dans le sentiment ?

Nous ne voulons pas quitter le champ de l’invention sans signaler encore les cartons de M. Chenavard, quoiqu’ils aient perdu beaucoup à être isolés de la série à laquelle ils appartiennent : — le Simoun, de M. Maréchal ; — l’Orgie, par M. Eugène Lami, élégante aquarelle où l’on appréciera, outre l’esprit et la finesse qui distinguent ordinairement ce talent, une fermeté de coloris toute nouvelle ; — les petits tableaux de M. Meissonier, bien qu’ils doivent ajouter assez peu à la réputation du peintre, et que l’exiguïté des proportions semble dégénérer chez lui en manie de l’imperceptible ; — enfin un très beau dessin de M. Rida, le Convoi de Recrues en Égypte. Il est impossible de voir sans émotion ce groupe de jeunes gens qui cheminent les mains liées sous les derniers regards de leurs familles, et qui détournent la tête pour donner ou pour recevoir un dernier baiser. La sombre résignation des hommes, la désolation des femmes, l’indifférence ou l’ébahissement des enfans, tout est senti et rendu avec une justesse qui fait le plus grand honneur au talent de M. Bida. Une pareille composition ne reproduit pas seulement une scène de mœurs caractéristique, un épisode de la vie en Orient envisagée, comme elle l’est d’ordinaire, au point de vue exclusivement pittoresque : elle a une signification plus haute et tout humaine ; elle est une œuvre d’art dans l’acception la plus spiritualiste du mot, et nous ne croyons pas que, sous le rapport du sentiment, de l’expression, de la vérité intime, beaucoup de toiles exposées au salon puissent être comparées sans désavantage à cet humble dessin.


III – PEINTURE DE PORTRAIT ET DE PAYSAGE.

La peinture de portrait, qui fut pendant si longtemps une des gloires de l’école française, et même, à certains momens, sa gloire principale, n’a plus dans l’art contemporain qu’une importance médiocre et un rôle accessoire. Ce n’est pas, tant s’en faut, que le nombre des portraits soit aujourd’hui moins considérable que de coutume ; mais les peintres éminens semblent dédaigner un genre qui tenta cependant les pinceaux de leurs plus illustres devanciers, ou s’ils consentent de temps à autre à quitter les sujets d’histoire pour s’attacher à l’imitation de la physionomie humaine, ils apportent dans l’exécution de leur lâche je ne sais quelles arrière-pensées de grandeur assez peu en harmonie avec la simplicité des vêtemens modernes, et presque toujours avec le caractère et les habitudes des personnages qu’il s’agit de représenter. Quant aux portraitistes de profession, le plus souvent ils tombent dans l’excès contraire. Qu’ils aient à peindre un souverain ou le syndic d’une