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compagnie, une princesse ou une simple bourgeoise, ils se contenteront de copier fidèlement la forme des traits, les détails d’ajustement et les réalités de toute sorte, sans essayer de préciser, par la différence du style, la différence hiérarchique ou morale qui existe entre leurs modèles. Le Portrait en pied de l’Empereur, par M. Lépaulle, révèle-t-il d’autres préoccupations que la recherche de la ressemblance matérielle et l’étude des broderies, des décorations, de tous les détails du costume ? Sans le secours du livret et l’ornementation du cadre, distinguerait-on tout d’abord le Portrait de l’Impératrice, par M. Dubufe, des agréables portraits de femmes qu’il a coutume de nous montrer ? M. Vidal a su du moins donner à son Portrait de l’Impératrice un charme d’expression et une grâce plus dignes du modèle ; pas plus que M. Lépaulle cependant, pas plus que M. Dubufe, il ne semble s’être rendu compte des conditions sérieuses de sa tâche, et l’on peut dire que, comme le portrait de l’empereur, le portrait historique de l’impératrice est encore à faire. Deux portraits de femmes, par MM. Bénouville et Cabanel, sont des morceaux de peinture fort distingués, et que l’on peut mettre, ainsi que le Portrait de M. Guizot, par M. Mottez, au premier rang des ouvrages en ce genre exposés au salon. Toutefois l’œuvre de M. Mottez, à force de prétendre à la gravité et à l’élévation du style, n’est pas exempte de quelque froideur. Rien de plus légitime, rien de plus nécessaire même, que de chercher à rendre, par le calme de la pose, la sévérité des lignes et la sobriété de la couleur, la figure de M. Guizot, et certes les gentillesses d’exécution ou l’exactitude matérielle eussent été ici plus insuffisantes que partout ailleurs ; mais, sans altérer la physionomie de son modèle. M. Mottez pouvait mettre plus d’animation dans le regard, plus de souplesse dans le corps et dans les muscles de la face. Nous aurions souhaité, en un mot, qu’il laissât circuler la vie là où il n’a fait qu’exprimer noblement l’impassibilité.

S’il est difficile de trouver parmi les portraits envoyés au salon quelques toiles dignes d’éloges, en revanche les paysages qui mériteraient d’être cités se rencontrent à chaque pas. La peinture de paysage a fait, on le sait, de grands progrès depuis un quart de siècle, et dans le cours des dernières années surtout, elle a été traitée en France avec une éclatante supériorité ; mais à aucune époque les talens n’ont été moins rares qu’aujourd’hui, jamais les œuvres n’ont présenté un caractère aussi uniformément remarquable, jamais elles n’ont plus clairement attesté la communauté des tendances et la simultanéité des efforts. Envisagée comme ensemble de doctrines homogènes, l’école actuelle de paysage est, à vrai dire, toute l’école française, puisqu’il n’y a plus, dans les autres parties de l’art, que tentatives isolées, contradiction et anarchie. Faut-il pourtant se féliciter bien haut du développement qu’a pris dans notre pays, non pas l’art de Poussin et de Claude Lorrain, mais l’art de Van den Velde et de Wynants, et ne doit-on pas reconnaître encore dans ces progrès du paysage les progrès du système réaliste ? Là aussi, la réalité, qui devait servir de texte, est devenue l’objet d’une imitation littérale ; on a fait du moyen le but, et au lieu d’exprimer un sentiment à propos d’une nature choisie, on a seulement rendu, par d’habiles procédés de palette, les caractères matériels de tel site qui s’offrait aux regards. Tout sera-t-il dit parce qu’on aura reproduit avec justesse l’effet d’un rayon de soleil sur un