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marais ou sur quelque huttes, et n’eût-il pas mieux valu faire tomber ce rayon sur des objets plus dignes de sa lumière ? Sans renouer la tradition des paysagistes de l’empire, qui auraient cru déshonorer leur art s’ils n’avaient construit, en quelque lieu que ce fût, des temples et des pyramides, ne saurait-on trouver d’autres modèles que les hameaux de la Sologne ou de la Basse-Bretagne ? L’art du paysage, tel qu’il est maintenant comprise, pratiqué en France, est avant tout un art de portrait, l’expression du fait plutôt que la traduction d’une impression poétique, et, tout en rendant pleine justice au mérite de ces portraits si parfaitement ressemblans, il est permis de dire qu’ils n’intéressent guère que nos yeux.

Les paysagistes contemporains n’obéissent pas tous cependant avec la même docilité au mouvement qui entraîne l’école. Plusieurs d’entre eux heureusement n’ont pas renoncé à poursuivre l’idéal, et les Sources de l’Alphée, de M. Edouard Bertin, le Saint Sébastien, de M. Corot, le Coucher de soleil, de M. Cabat, prouvent que, même au salon de cette année, les envahissemens de l’art matérialiste ne s’accomplissent pas sans résistance et sans lutte sérieuse. Les Sources de l’Alphée surtout, composition pleine de grandeur et traitée dans un style sévère, sont en désaccord formel avec le goût et la méthode des sectaires du réalisme. D’autres artistes, tels que M. Aligny et M. Desgoffe refusent plus ouvertement encore toute concession aux doctrines régnantes, toute complicité avec les enthousiastes de la couleur. Par un parti pris violent et en quelque sorte philosophique, ils ne cherchent que la majesté du dessin, quitte à rencontrer souvent la convention ; ils s’opiniâtrent dans leur amour exclusif pour la forme, sans s’apercevoir qu’a force d’épurer et d’ennoblir la structure d’un arbre, ou les lignes d’un rocher, ils donnent aux œuvres de la nature l’aspect aride des figures géométriques. L’Oreste en Tauride, de M. Desgoffe, le Souvenir des Environs de Corinthe, de M. Aligny, sont loin d’être des ouvrages sans valeur ; mais l’estime qui leur est due a quelque analogie avec la sympathie assez froide qu’inspirent certains morceaux de musique savante : ces tableaux manquent de mélodie, pour ainsi dire, et le mérite dont ils sont empreints semble procéder beaucoup moins des révélations de l’art que des efforts de, la volonté et des calculs un peu pénibles de la science.

Le talent de M. Français n’a pas, il s’en faut de beaucoup, cette allure compassée et cette physionomie austère. Par ses tendances franchement réalistes, il appartient à la nouvelle école ; par la finesse du goût et le choix délicat des effets, il se distingue de la masse des talens voués au culte de l’imitation textuelle. M. Français se préoccupe peut-être assez peu du style, et le style de ses ouvrages est cependant d’une rare élégance. Ce qui chez d’autres artistes accuse un système témoigne chez lui d’une habitude naïve, d’une tournure d’esprit naturelle, et nulle part la grâce ne parait moins apprise que dans ses agréables tableaux. La Fin de l’Hiver, le Ravin de Nepi, l’Effet d’Automne ont, comme toutes les productions de ce pinceau, un caractère de simplicité sans niaiserie, de vérité sans affectation, qui leur assigne le premier rang dans la classe des paysages familiers et qui les isole, d’autre part, des paysages inspirés par l’étude de la nature vulgaire.

À l’exception des artistes que nous venons de citer et de quelques autres,